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LE MENDIANT NOIR

Porte du Palais, tandis que Maubèche essayait de pénétrer dans la maison. La porte principale était verrouillée.

— Bon, murmura le nain, voilà que ma propre porte m’est fermée ! Décidément, on n’est plus chez soi nulle part !

Ce disant, il quitta le perron et fit le tour de la résidence. À l’arrière il trouva, légèrement entr’ouverte, la porte basse par laquelle Verteuil et sa nièce étaient sortis.

— Ah ! ah !… ricana le nain, de nos jours on quitte sa maison par la grande porte et l’on y rentre par la petite.

Il entra, monta à l’étage supérieur où tout était obscur et silencieux.

Et tout en ce faisant, dans sa pensée trottait ce nom :

— Mademoiselle de Verteuil !…

Il parcourut la longueur du vestibule, prêtant l’oreille.

— Non ! murmura-t-il au bout d’un moment, il n’y a personne ici. N’importe ! puisqu’on m’a dit d’attendre, j’attends !

Et marchant dans l’obscurité aussi facilement qu’en plein jour, il traversa une salle et pénétra dans le salon. Il avisa un divan. Il s’y jeta et se mit à dormir.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Verteuil, tirant après lui Philomène toute pâmée, courait vers la basse-ville, vers la Cité des Mendiants. Il allait au travers de ruelles noires et puantes, comme s’il en eût connu tous les tours et détours. Puis, soudainement, il s’arrêta devant une cambuse.

— Ah ! grinça-t-il en se penchant sur le visage livide et défait de la jeune fille qui hoquetait hors d’haleine, tu veux voir ton père… le voici !

Il frappa rudement dans la porte.

— Qui va là ? demanda une voix sourde de l’intérieur.

Et Philomène, tremblante, épouvantée, crut reconnaître cette voix d’homme qui, une heure avant, l’avait appelée « sa fille », oui, la voix de cet homme qui l’avait comme bercée dans ses bras.

— Ouvrez ! commanda Verteuil, c’est pour affaire urgente.

La porte s’ouvrit. Dans l’embrasure parut la haute silhouette du père Turin, toujours vêtu de ses loques de mendiant, la tête entourée d’une bande de toile blanche rougie de sang.

La lumière de la cambuse éclaira nettement le visage décomposé de Philomène.

— Constance !… fit le père Turin en reculant.

Un ricanement résonna dans la gorge de Verteuil qui, à son tour, mit sa face terrible dans le rayon de lumière.

— Oh ! s’écria le père Turin avec stupeur, Jacques…

Un nouveau et plus fort ricanement de Verteuil couvrit la voix du mendiant.

Chancelante, hagarde, Philomène jetait un regard éperdu sur le vieux loqueteux et l’intérieur misérable de sa cabane.

— Viens ! commanda Verteuil en entraînant de force la jeune fille.

Il entra.

Interdit, le mendiant s’était reculé jusque dans le fond de la pièce.

Verteuil parla :

— Mendiant, ce n’est pas Constance que je t’amène, c’est ton autre fille, Philomène…

— Philomène !… murmura le mendiant, égaré et tremblant.

Puis, il fit un bond, enfonça d’un coup de pied la porte de la pièce voisine et clama cet appel :

Constance !…

Le fracas et le cri réveillèrent la vieille mendiante qui accourut en jetant des cris perçants.

Mais à la vue de la jeune fille, elle se tut, frissonna, recula et tomba sur un siège, le sein en tumulte et les yeux désorbités.

— Tiens, Philomène, reprit Verteuil avec un rire sarcastique, voici ta mère… et là ton père… comme tu le vois ce sont de vils mendiants… Va donc à eux !

Il poussa brutalement la jeune fille vers les deux mendiants qui n’osèrent lui tendre les bras.

Mais Philomène venait de tomber. Elle se releva, et, affolée, elle courut à Verteuil, criant :

— Non… non… ce n’est pas mon père ! Ce n’est pas ma mère !… Emmenez-moi ! Emmenez-moi !…

Verteuil éclata d’un long rire.

Une deuxième fois il poussa la jeune fille vers les deux mendiants qui demeuraient stupéfaits.

Alors, le père Turin, d’une voix méconnaissable, interrogea sa femme :

— Où est Constance, pauvre femme ?

— Je ne sais pas… bredouilla la femme. Elle est partie !

Philomène revenait vers Verteuil. Elle lui cria, avec un accent de folie :

— Arrière !… ce n’est pas mon père…