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tes-nous, n’avez-vous pas vu un mendiant noir ?

— Un mendiant noir ! s’écria Philippe Vautrin avec un étonnement fort bien joué. Ah ! ça, monsieur, depuis quand les mendiants parcourent-ils ce château ?

— C’est bien, monsieur, dit le Lieutenant de Police. Nous allons tout de même faire fouiller le château.

Il donna l’ordre qu’on fouillât tous les appartements, sauf bien entendu les appartements du marquis. Et lui-même se mit à la tête d’un groupe d’officiers. Les recherches durèrent une demi-heure, et, comme on s’en doute bien, elles furent vaines. Mais l’incident avait créé une grande excitation. La danse avait cessé, les musiques s’étaient tues, et les invités demeuraient inquiets, commentant par groupes et à voix basse l’affaire du mendiant noir.

Philippe Vautrin était descendu en bas en pensant :

— Il ne fait plus bon ici pour moi, il faut que je m’éloigne le plus vite possible sans attirer l’attention.

Il traversa le vestibule et entra dans le vestiaire où un domestique lui remit son manteau, son tricorne et sa canne. Mais au moment où il sortait du vestiaire pour gagner la porte de sortie, il croisa Philomène, pâle et agitée, au bras de son oncle. La jeune fille lui jeta un regard éperdu. Vautrin s’inclina et, sans mot dire, sortit.

La cour du château avait été désertée par les gardes appelés à l’intérieur pour fouiller les appartements à la recherche du mendiant noir. Philippe Vautrin la traversa rapidement. Mais au moment où il allait franchir la grande porte cochère toute ouverte et nullement gardée, il se trouva sur le passage d’une silhouette de jeune fille ou d’une jeune femme. Il s’écarta courtoisement pour livrer passage. À la même minute les lumières partant du vestibule éclairèrent vaguement la figure pâle d’une jeune fille que Philippe reconnaissait bien.

— Oh ! mademoiselle Constance !… fit-il avec la plus grande surprise.

— Monsieur Philippe… monsieur Philippe… fit la jeune fille avec non moins de surprise.

Alors le jeune homme se plaça d’un bond devant Constance et lui murmura d’une voix ardente :

— Fuyez ! fuyez, mademoiselle, il serait dangereux pour vous de demeurer ici !

— Non, monsieur, je ne veux pas m’en aller que je ne sache mon père en sûreté !

— Votre père ?

— Oui, monsieur. Nous sommes très inquiets, ma mère et moi. Mon père est parti de notre logis depuis cette matinée, et nous nous demandions ce qu’il était devenu, quand un de nos voisins, étant venu ce soir rôder ici, a cru voir mon père portant une livrée de domestique.

— Ah ! ah ! sourit Vautrin, et vous avez pensé qu’il courait quelque danger ?

— Qui sait, monsieur ? les mendiants ont tant d’ennemis !

— Eh bien ! rassurez-vous, mademoiselle, votre père n’est pas en danger, et je ne serais pas surpris qu’à ce moment précis où je vous parle il ne fût déjà chez vous.

— Le croyez-vous ?

— Je le crois, mademoiselle. Et puisque la bonne fortune m’a fait vous rencontrer, si vous le voulez je vous accompagnerai à votre domicile où je désire entretenir d’affaires graves votre père.

Constance accepta le bras que lui offrait le jeune homme, et tous deux s’éloignèrent rapidement. Mais à l’instant où ils quittaient la porte cochère, une silhouette humaine enveloppée d’un manteau sombre se mettait à les suivre à travers la Place, puis vers la Porte du Palais. Cette silhouette humaine marchait en chancelant, et de temps en temps s’échappait de ses lèvres, comme un râle d’angoisse, ces paroles :

— Lui !… Lui !… oh ! je veux savoir… je veux savoir !

Mais soudain elle s’arrêta, elle parut vaciller, et brusquement elle s’affaissa sur le pavé où elle demeura inerte.

Plus loin Philippe Vautrin et Constance poursuivaient leur chemin vers la Porte du Palais.


VII

PÈRE ET FILLE


Au château un nouvel émoi avait été créé par la nouvelle que Monsieur de la Jonquière en ses appartements, s’était évanoui. Le médecin appelé en toute hâte avait commandé qu’on interrompit la fête et qu’on priât les invités de se retirer, attendu que le moindre bruit pouvait être fatal au malade.

Le Lieutenant de Police descendit en bas dans le dessein d’offrir son bras et sa voiture