Page:Lebel - La valise mystérieuse, 1930.djvu/7

Cette page a été validée par deux contributeurs.
5
LA VALISE MYSTÉRIEUSE

Cependant, Conrad ajoutait :

— Vous aurez soin de faire contresigner ce chèque par Monsieur Dunton avant de me rapporter.

La jeune fille inclina légèrement la tête et se retira pour exécuter les instructions de son chef.


II

PRÉSENTATION DE PERSONNAGES


Henriette Brière avait vingt-quatre ans, mais on ne l’aurait pas crue âgée de plus de dix-huit, tant il y avait de juvénile fraîcheur dans son visage aux lignes harmonieuses et aux joues rondes et roses. Mignonne, gracieuse et gaie et possédant des yeux noirs éclatants et doux qui animaient davantage ses traits mobiles, avec une bouche délicieuse dont les lèvres pouvaient ressembler à deux boutons de roses. Henriette était séduisante, jolie, belle dans toute l’acception du mot. Grande, élancée, de formes admirables et très élégante, elle impressionnait sans cesse ses admirateurs.

L’année d’avant une grave maladie avait conduit la jeune fille à l’hôpital où on avait coupé ses longs cheveux noirs et soyeux. Depuis ses cheveux courts étaient arrangés en boudins merveilleux qui tombaient avec une grâce charmante sur ses oreilles et sa nuque blanche. Ces cheveux ainsi coupés et arrangés lui donnaient un petit air de gaminerie tout à fait adorable.

Quatre ans auparavant elle était entrée, comme dactylographe, au service de la Conrad-Dunton Engineering Company. Instruite, parlant et écrivant les langues française et anglaise avec une égale facilité et une parfaite correction, intelligente, docile, assidue, elle avait été bientôt assignée au poste enviable de secrétaire de MM. Conrad et Dunton. Cette rapide promotion n’avait pas manqué, comme on le pense bien, de susciter la jalousie des autres demoiselles de la correspondance qui, pour la plupart, étaient anglaises, et ces demoiselles s’étaient fort exercées à la médisance. Mais Henriette n’y avait prêté nulle attention, et elle s’efforça, par son travail intelligent et par la dignité de ses manières à conquérir l’estime de ses camarades envieuses. Elle y réussit. Quant à Conrad et Dunton, ils éprouvaient pour la jolie et gracieuse canadienne-française la plus respectueuse admiration.

Ajoutons, pour terminer cette esquisse, que la jeune fille était issue d’une brave famille d’agriculteurs à l’aise de Saint-Félix de Joliette. Après sa sortie du pensionnat, elle alla vivre sous le toit familial où on voulut la traiter comme une grande demoiselle en l’empêchant de travailler aux soins du ménage. L’ennui la prit. Elle avait trop d’activité pour vivre les bras croisés. Elle partit pour Montréal où elle eut la bonne fortune de se trouver une place assez avantageuse dans les bureaux de Conrad et Dunton. Ce fut deux ans après qu’un bon hasard lui fit connaître Pierre Lebon qui venait d’être fait ingénieur.

Puis, les amours avaient marché !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

James Conrad avait donc commandé un chèque de vingt-cinq mille dollars à l’ordre de Pierre Lebon.

Dix minutes plus tard, le chèque était apporté par Henriette et remis à Lebon. La jeune fille rentra aussitôt dans son cabinet.

Le jeune inventeur avait reçu le chèque d’une main tremblante : mais ce fut d’une main plus tremblante encore qu’il signa cette transaction qui allait lui rapporter une somme supplémentaire de $75,000. C’était la fortune, quoi !

Alors James Conrad reprit la conversation :

— Monsieur Lebon, nous sommes en possession des plans et devis de votre invention, il ne nous manque plus que votre modèle… Quand pourrez-vous nous apporter ce modèle ?

— Mais… de suite, aujourd’hui même… ou, au plus tard, demain matin.

— Oui, demain matin, c’est cela.

Pierre Lebon remercia l’ingénieur et prit congé.

Dans le corridor, il avisa une porte vitrée sur laquelle on lisait cette inscription : PRIVATE SECRETARY.

Il s’arrêta, parut réfléchir une seconde, sourit et d’une main légère heurta la porte.

— Entrez ! fit de l’intérieur une voix limpide et fraîche.

Tout radieux, le jeune homme pénétra dans le cabinet d’Henriette Brière.

Elle, d’un bond, courut à lui, passa ses bras autour de son cou et murmura avec une exquise tendresse :

— Ce serait peut-être une chose banale de vous féliciter, mon cher Pierre !

— Oui, ma chère amie, nous nous comprenons si bien sans même nous parler. Mais après ces félicitations, méchante, n’y aurait-il pas de votre part quelque chose de meilleur ?

— Je ne vous comprends pas cette fois, Pierre, répondit-elle en laissant tomber ses boudins noirs sur l’épaule du jeune homme.

Il sourit, pressa la charmante enfant sur lui et demanda :

— Est-ce que mes succès ne seraient pas mieux fêtés par un baiser de vos chères lèvres ?

Elle releva sa jolie tête, et, la bouche épanouie dans un sourire heureux. Elle lui tendit ses lèvres rouges, murmurant :

— Deux… trois baisers !

Une minute de joie céleste passa sur l’existence de ces deux amants.

— Ces succès, cette fortune, Henriette, dit le jeune homme, et toute la renommée que je pourrai acquérir dans l’avenir, c’est pour vous, oui, c’est pour vous seule, Henriette !

Elle pressa ardemment la tête du jeune homme contre sa joue veloutée et brûlante. Mais à l’instant même un timbre électrique résonna.

La jeune fille se dégagea doucement de l’amoureuse étreinte, et avec regret proféra :

— Mon Dieu ! on m’appelle déjà, mon Pierre !

Il éprouva le même regret.

— Voulez-vous, Henriette, que nous dînions ensemble ce soir ?

— Pour célébrer…

— Pour être l’un près de l’autre ! interrompit Pierre :

— Oui, oui, je le veux… je le souhaite !