Page:Lebel - La valise mystérieuse, 1930.djvu/61

Cette page n’est pas destinée à être corrigée.
59
LA VALISE MYSTÉRIEUSE

La mort du Père Labrosse

(Légende canadienne)

I.e touriste qui, au cours d’un “tour du Saguenay” sur l’un des superbes palais flottants de la Canada Steamshipe Lines, durant la saison estivale, peut s’arrêter et s’attarder un brin à Tadoussac, ne doit pas manquer de visiter l’établissement ichtyagénique pour la reproduction du saumon dît “de Gaspé ;” l’hôtel Tadoussac et ses jardins si agréablement situés sur la baie et l’embouchure du Saguenay, rendez-vous des Américains et autres étrangers épris de belle nature ; enfin, la petite chapelle qui s’élève non loin du manoir, et qui est une des plus vieilles églises de la province de Québec qui nous restent du “temps des Français’’.

En effet, ce vieux temple qu’on’admire, malgré son apparence extérieure vieillotte, et dont la petite cloche apportée de France en 1647 par le R. P. Guillettes est supposée avoir annoncé mystérieusement la mort du P. Labrosse dans la nuit du 11 avril 1782, date de 1747. Bien avant, les Récollets, puis les Jésuites, avaient occupé une chapelle de pierre que les Iroquois incendièrent en 1665. Trois ans plus tard, lorsque Mgr de Laval alla faire sa visite pastorale à Tadoussac, cette première église du plus vieux poste de traite de l’Amérique du Nord n’avait pas été rebâtie, et ce n’est qu’en 1747 que le P. Coquart, missionnaire jésuite, réussira à élever une chapelle de bois pour ses chers Sauvages montagnais. C’est cette construction modeste mais intéressante que’nous voyons encore aujourd’hui. Gardons-nous bien de la faire disparaître ; préservons-la jalousement contre le vandalisme.

Les Montagnais étaient en ce temps-là plus nombreux qu’aujourd’hui ; la mission de Tadoussac était très fréquentée ; aussi aidèrent-ils le bon missionnaire à la construction de la chapelle, dont l’intendant Hocquart, qui, à son arrivée au Canada, faillit périr dans le naufrage de Y Eléphant, au cap Tourmente, le 1 septembre 1729, avait généreusement fourni les planches, madriers, bardeaux et accessoires en fer. Le 16 mai 1747, le P. Coquart enfonça le premier clou et bénit le nouveau temple, qui ne fut cependant terminé que l’été de 1750, puisque, le 27 jufri de cette année, l’intendant Bigot — ce fut peut-être ra seule bonne action — donna deux cents livres pour finir la couverture. “Les habitants de Tadoussac, qui n’eurent pas d’autre église jusqu’en 1885, dit Damase Potvin dans son intéressant Tour du Saguenay, ajoutèrent le jubé intérieur et la disgracieuse sacristie qui gâtent la symétrie de lu petite et humble chapelle.

“En 1870, elle était dans un piteux état. Elle menaçait ruine de tous côtés et il fallait absolument la restaurer. Thomas-1). King, de Montréal, poussé par le démon du musée, fit un chaleureux appel à scs compatriotes d’origine anglaise et recueillit une somme suffisante pour remettre en ordre la petite chapelle et nettoyer le cimetière où, le 7 août 1880, on planta une croix de dix-huit pieds de hauteur. Les clôtures qui entourent la chapelle et le cimetière sont dues à la générosité des messieurs Price.

"En 1919, les membres de la Société royale du Canada apprirent que l’on allait démolir la petite chapelle. Nos antiquaires s’émurent avec raison. Mais, heureusement, Il ne s’agissait que d’un vulgaire canard, auquel S. G. Mgr Labreeque, évêque de Chicoutlmi, et l’abbé Georges Tremblay, curé de Tadoussac, ne tardèrent pas à couper les ailes." A l’intérieur de la chapelle, un chemin de croix, qui fut apporté de France par les premiers missionnaires, orne les murs étroits ; c’est le plus petit qui existe en Amérique. Des peintures à l’huile, dont un Bambino que la tradition veut qu’il ait appartenu à l’église de Grand-Pré, en Acadie ; un Enfant-Jésus en cire, donné aux Sauvages par Louis XIV et dont la robe de soie fut brodée par la reine Anne d’Autriche ; une bannière assez bien conservée qui remonte à 1771 ; des chandeliers sculptés au couteau ; un confessionnal taillé par le P. Labrosse ; enfin, le tombeau de ce dernier, sont autant de souvenirs anciens et précieux qu’on aime à voir. Nous venons de mentionner le P. Labrosse, missionnaire jésuite tendrement aimé dps Sauvages montagnais, et dont la mort tragique est un sujet de conversation parmi les habitants de la région du bas Saguenay.