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I

À PROPOS DE CHASSE-TORPILLE !


Les bureaux des ingénieurs Conrad et Dunton, situés au troisième étage d’un édifice de la rue Saint-Jacques, à Montréal, étaient remplis d’une fiévreuse activité, et les quinze employés qui y gagnaient leur existence avaient fort à faire durant six jours par semaine.

Ces bureaux comprenaient sept pièces : l’administration générale et comptabilité, la trésorerie, la correspondance, la salle de dessin, et les deux cabinets particuliers de MM. Conrad et Dunton. Ajoutons que ces deux cabinets étaient séparés par le secrétariat particulier.

Dans le seul bureau de la correspondance on pouvait trouver une demi-douzaine de demoiselles toutes très occupées chacune à son dactylotype, et, du matin au soir, les machines ne cessaient pas de faire entendre leur clic-clic monotone.

À la comptabilité on voyait une demi-douzaine de jeunes hommes penchés sur les gros livres et les gros chiffres.

Pénétrons dans le cabinet de James Conrad.

Cet homme est âgé de cinquante-cinq ans, avec une tête à cheveux roux et courts vivement grisonnants. Sa figure est fortement colorée, un peu maigre, les pommettes saillantes, mais toujours fraîchement rasée. Ses yeux sont bruns et doux, mais clignotants à l’abri d’un lorgnon. Il possède une physionomie presque souriante toujours, très affable.

L’attitude générale de cet homme, sa voix douce et persuasive, son geste dégagé et sobre, la courtoisie de ses manières et, plus encore, la réputation de droiture dont il jouit, laissent chez ses visiteurs l’impression d’un parfait gentilhomme.

Au moment où nous le présentons à nos lecteurs, James Conrad est assis devant l’un de ces gros pupitres, carrés et massifs, garnis de tiroirs. Sous ses yeux sont étalés des plans de machines imprimés en bleu. Renversé sur le dossier de sa chaise tournante et fumant un cigare qu’il mâchonne souvent du bout des dents, il observe à la dérobée un visiteur assis en face de lui.

Ce visiteur est un jeune homme de vingt-sept à vingt-huit ans, grand, bien fait, cheveux châtains et ondulés, figure imberbe et rosée, des yeux bleus, tendres et doux. Son attitude est légèrement timide et craintive ; mais l’ensemble de la physionomie accuse la franchise et l’intelligence.

Pierre Lebon — c’est le nom de ce jeune homme — ingénieur de talent, vient d’inventer un Chasse-Torpille destiné à paralyser l’activité sous-marine allemande. À son invention il a réussi à intéresser les ingénieurs-fabricants Conrad et Dunton,

— Monsieur Lebon, fit James Conrad après un moment de silence, il nous reste à traiter la question financière. Je vous avouerai, auparavant, que, même après l’étude approfondie que nous avons faite de votre affaire, et après les expériences très concluantes de votre petit modèle Chasse-Torpille, nous allons encourir encore des risques énormes. Nous avons eu des ententes avec notre Ministre de la Marine et certains représentants du Gouvernement Américain, mais sans aucune forme de garantie de la part de l’un ou de l’autre gouvernement ; et les frais de construction des deux ou trois types d’essai seront très coûteux.

— Monsieur, interrompit le jeune inventeur, je vous répète que je ne suis pas exigeant, et je laisse la question financière à votre entière discrétion.

— Oui, je sais, sourit Conrad. Toutefois, j’ai compris qu’en toute justice vous dussiez recevoir, à titre de première compensation et comme rémunération des premiers services que vous aurez à nous rendre au cours de la construction des machines et durant la période d’essais, une certaine somme d’argent. Ceci, je l’ai longuement discuté et débattu avec mon associé, Monsieur Dunton, dont les vues concordent avec les miennes.

James Conrad garda le silence durant une minute, et ses yeux clignotants parurent étudier attentivement la physionomie du jeune inventeur qui, très ému, attendait, silencieux, que Conrad se prononçât définitivement.

Ce dernier reprit :

— Maintenant, Monsieur Lebon, je vais vous poser une question, et votre réponse pourra décider de notre transaction immédiate et définitive.