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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

— En tout cas, fit Tonnerre, soyez assuré, Monsieur Pierre, que votre innocence sera bien vite reconnue.

— Et quant à nous, ajouta Alpaca, soyez certain que nous ne rouillerons pas dans l’oisiveté, et avec Mademoiselle Henriette nous nous occuperons de vous.

Déjà, la porte ouverte par Mme  Fafard livrait passage à trois agents de police. L’un d’eux marcha jusqu’à Pierre, tandis que les deux autres demeuraient avec une attitude résolue sur le seuil de la porte.

— Monsieur Pierre Lebon, dit l’agent qui s’était approché du jeune homme, je suis porteur d’un mandat d’arrestation contre votre personne, le voici.

Et il déployait une large feuille de papier frappée du timbre de la loi.

Mais Pierre d’un geste digne l’arrêta.

— Inutile, dit-il, je sais qu’on m’accuse d’un vol dont je ne suis pas coupable. Je suis prêt à vous suivre, et je m’expliquerai devant un magistrat.

L’agent s’inclina et remit son papier dans sa poche.

Pierre serra les mains de ses deux amis, murmura quelque paroles de consolation à Mme  Fafard qui pleurait silencieusement, et sortit de son cabinet suivi de près par les trois agents.

L’instant d’après l’auto, que nous avons vue s’arrêter à quelques verges de la maison, descendait la rue Saint-Denis en direction des quartiers généraux de la police à l’Hôtel de Ville.

À quelques pas de la maison de Mme  Fafard, sur le côté opposé de la rue, deux hommes étaient demeurés en observation, dissimulés dans l’ombre.

Lorsque l’auto emportant Pierre Lebon et ses trois gardes du corps se fût éloignée, l’un de ces hommes, qui n’était autre que Peter Parsons, dit à l’autre :

— Maintenant que cette affaire est terminée, voici les vingt dollars convenus pour vos services.

L’homme prit les billets de banque, les examina rapidement et les mit dans sa poche.

— À présent, ajouta Parsons, si vous désirez en gagner encore autant, vous n’avez qu’à retrouvez ce William Benjamin, et m’en prévenir par un message que vous laisserez rue Lagauchetière, No 126 D.

— C’est entendu, consentit l’espion. Pas plus tard que demain soir, vous saurez où loge William Benjamin.

Sur ces paroles, les deux hommes se séparèrent.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dans le cabinet de travail de Pierre Lebon Alpaca et Tonnerre demeuraient confondus et abîmés dans de terribles pensées.

Chacun d’eux se demandait à lui-même par quel moyen il aurait pu empêcher cette arrestation, et tous deux s’en voulaient de n’avoir pas tenté une résistance quelconque qui aurait permis à Pierre, dans la confusion qui se fût produite, de s’enfuir, quitte à être arrêtés eux-mêmes pour avoir mis entraves aux procédures de l’autorité policière.

Longtemps ils demeurèrent ainsi, silencieux, sombres, farouches presque, sans même s’adresser le moindre regard, tant ils avaient peur de s’accuser l’un l’autre de faiblesse. Leur ouïe demeura sourde au bruit que fit la porte du cabinet en s’ouvrant tout à coup, et seule une voix bien connue les fit tressauter sur leurs sièges. Et cette voix, toute frémissante d’inquiétude, avait dit :

— Il est donc arrivé un malheur !

— Hélas ! mademoiselle Henriette… firent en même temps les deux compères d’une voix morne.

Mademoiselle Henriette ?…

Mais Tonnerre et Alpaca étaient-ils devenus subitement fous ? Car ce n’était pas Mlle  Henriette qui était là, debout et angoissée, mais un jeune homme, un joli garçon, plus joli avec la pâleur de son visage, et c’était ce même jeune homme qui avait à l’espion de Peter Parsons, sur la rue, plus d’une heure avant, remis sa carte de visite… c’est-à-dire William Benjamin.

Mais à la même minute, le chapeau melon et la canne allaient tomber sur un sofa, et si les cheveux noirs, soigneusement peignés, lissés et rejetés en arrière avaient été arrangée en boudins, on aurait sans difficulté reconnu notre petite Canadienne… Henriette Brière. Oui, c’était bien Henriette qui jouait ainsi le rôle de William Benjamin, Jr. banquier de Chicago.

Henriette, devinant aux mines abattues des deux amis, qu’un malheur était arrivé et devinant aussi la nature de ce malheur s’était laissée choir sur un fauteuil. Elle voulut demander des détails, mais un violent accès de toux étouffa ses paroles.

— Mademoiselle, fit observer Alpaca de sa voix profonde et grave, vous êtes peut-être sortie trop tôt après le bain glacé d’hier soir, car cette toux ne dit rien de bon.

— Oh ! ce n’est rien, répondit Henriette en continuant à tousser.

— Selon mon humble avis, mademoiselle, fit Tonnerre à son tour, vous avez bien fait de vous absenter ; car si vous étiez demeurée ici, le malheur qui nous atteint eût été double.

— J’ai parlé inconsidérément, mademoiselle, se repentit aussitôt Alpaca, Maître Tonnerre à raison.

Pierre a été arrêté, n’est-ce pas ? put enfin dire Henriette.

— Et en dépit de tout le dévouement que nous devons à Monsieur Lebon, dit Alpaca, nous n’avons pu empêcher les agents de police de faire ce qu’ils appellent « leur devoir ».

— Comment la chose s’est-elle passée ?

— D’une façon aisée pour les agents, répondit Tonnerre avec humeur, car il y en avait une nuée autour de la maison, il y en avait partout… dans la rue, dans le passage de la cour, dans les fenêtres… Il devait y en avoir sur le toit.

Et Tonnerre narra la scène que nous connaissons.

Henriette écouta ce récit attentivement sans laisser paraître le moindre signe de découragement sur sa physionomie. Et quand Tonnerre eut terminé, elle dit simplement :

— Le mal est fait, et c’est à nous qu’il appartient de le réparer ou l’empêcher de s’aggra-