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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

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Pendant que sur la rue on préparait son arrestation, Pierre Lebon, tranquillement assis dans la berceuse de son cabinet de travail, fumait et causait avec Alpaca et Tonnerre.

Le cabinet de travail possédait deux fenêtres, dont l’une, avec ses rideaux soigneusement tirés, donnait sur lu rue Saint-Denis ; l’autre, sur un étroit passage qui reliait la rue à la cour d’arrière de la maison. Cette deuxième fenêtre, tout comme la première, était garnie de rideaux de serge bleue, seulement ces rideaux étaient entr’ouverts sur le châssis.

Au moment où nous entrons dans le cabinet de travail, nous trouvons nos trois amis ainsi placés : Alpaca tourne le dos à la fenêtre de la rue, Pierre Lebon à celle du passage, et Tonnerre, assis à quelques pas de Lebon et en face de lui, séparé qu’il en est par la table de travail, fait vis-à-vis à la fenêtre du passage. Or, tandis qu’Alpaca narrait certaines de ses vieilles aventures, et au moment où Pierre Lebon paraissait vivement intéressé, car l’aventure racontée par Alpaca avait un certain cachet de mystère, Tonnerre fit un soubresaut sur son siège et ses yeux, manifestant une grande stupeur, demeuraient fixés sur la fenêtre du passage.

Pierre et Alpaca, qui virent l’attitude étrange de Tonnerre, tournèrent les yeux vers la fenêtre, mais sans rien voir d’étrange.

— Que voyez-vous donc ? interrogea Pierre Lebon.

— Rien à présent, répondit Tonnerre. Mais j’ai vu ou j’ai cru voir quelque chose.

— Quel était ce quelque chose, Maître Tonnerre ? demanda Alpaca à son tour.

— Une tête d’homme !

— Êtes-vous sûr de cela ? demanda Pierre en pâlissant.

— Sûr ?… répliqua Tonnerre, c’est-à-dire que j’en donnerais ma propre tête au diable ! Et cette expression était pour Tonnerre le plus grand des serments peut-être.

Pierre courut à la fenêtre.

Il souleva le châssis, pencha la tête en dehors et darda un regard perçant. L’obscurité profonde qui emplissait le passage ne pouvait lui permettre de voir quoi que ce fût. Il prêta l’oreille, dans l’espoir peut-être de saisir quelque bruit indicateur. Mais il n’entendit que les vagues rumeurs de la cité. Du passage son regard se porta sur la rue Saint-Denis vaguement éclairée à cet endroit. Il vit des promeneurs passer rapidement, et ce fut tout.

— Rien ! dit-il en laissant retomber le châssis.

Il revint vers les deux compères qui l’avaient observé avec une certaine inquiétude, il sourit à Tonnerre et reprit :

— Il est possible qu’après les rencontres singulières que vous avez faites ce soir, votre esprit ait été l’objet d’une vision imaginaire.

— C’est possible, répliqua Tonnerre, et je souhaite de m’être trompé.

À l’instant même où Tonnerre achevait ces paroles on frappa dans la porte du cabinet.

Pierre alla ouvrir.

C’était Mme Fafard.

Elle pénétra dans le cabinet sur la pointe des pieds, après avoir repoussé doucement la porte derrière elle.

Le jeune inventeur remarqua l’inquiétude peinte à gros traits sur le visage de sa maîtresse de pension, et il demanda :

— Qu’est-ce donc, Madame Fafard ?

— Monsieur Pierre, répondit la femme d’une voix qui tremblait d’angoisse et de peur, il y a en bas trois hommes qui désirent vous parler. J’ai eu beau répéter que vous étiez absent, ils ont insisté, affirmant que vous étiez dans votre cabinet de travail, et ils ont menacé de m’arrêter, si je continuais à vouloir chercher à entraver les devoirs de la police. J’ai répondu que si réellement vous étiez dans votre cabinet, c’est que je ne vous avais pas vu rentrer. Alors, dans l’espoir que vous pourriez échapper à ces hommes, je leur ai demandé d’attendre une minute, pour venir voir, ai-je ajouté, si vraiment vous étiez revenu. Mais, je vous le dis, vous n’avez pas de temps à perdre. Qui sait même s’ils ne surviendront pas tout à coup, bien qu’ils m’aient assuré qu’ils attendraient mon retour.

— Merci, Madame Fafard, répondit le jeune homme très ému. Je vous promets que je n’oublierai jamais votre bon dévouement.

— Vous voyez, dit Tonnerre, que je ne m’étais pas trompé. Un individu de la police a dû, à l’aide d’une échelle, grimper jusqu’à cette fenêtre. Et, naturellement, monsieur Pierre, vous avez été vu et reconnu.

— Oui, oui, murmura l’inventeur en réfléchissant.

— Il est vrai aussi, ajouta Alpaca, que le temps n’est pas aux longues réflexions… il faut agir !

— Avez-vous une idée ? demanda Pierre.

— Oui, une idée bien simple, répliqua Alpaca. Comme c’est à vous qu’on en veut, fuyez, voilà tout.

— Idée simple, en effet, sourit le jeune homme. Seulement vous conviendrez qu’il m’est assez difficile de m’en aller par la porte de la rue.

— C’est juste, approuva Tonnerre, attendu que cette porte doit être gardée.

— Monsieur Pierre, intervint Mme Fafard, il y a la porte d’arrière qui donne, par la cuisine, sur la cour. De là vous pourriez tant bien que mal parvenir jusqu’à la rue Sanguinet.

— Merci encore, Madame Fafard, pour me faire penser à cette issue. C’est en effet le meilleur chemin à prendre, et je vais suivre votre avis. Quant à vous, mes amis, ajouta le jeune homme en regardant Tonnerre et Alpaca, vous informerez Mademoiselle Henriette qu’avant demain matin je lui aurai fait connaître ma retraite. Ah ! comme je bénis le ciel, acheva-t-il, qu’elle ne soit pas dans cette maison, car on n’aurait pas manqué de l’arrêter aussi !

Et Pierre courut à sa chambre pour y prendre une valise afin d’y mettre le linge nécessaire pour le temps de son absence. Mais à la minute même où il revenait de sa chambre avec la valise, une main rude frappait dans la porte du cabinet.

— Trop tard !… gémit Mme Fafard.

Pierre rejeta vivement sa valise dans la chambre à coucher, et d’une voix ferme commanda à la femme qui vacillait d’épouvante :

— Ouvrez, Madame Fafard !

— Il n’y a pas d’autre alternative, prononça Alpaca sur un ton grave.