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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

géniture passée et à venir, legs et cætera que vous désirez faire à vos charmantes épouses respectives.

— Je vous certifie à l’avance, messieurs, déclara Alpaca avec un grand geste, que votre cause est gagnée !

Interloqués par cette volubilité étourdissante de nos deux compères, épouvantés aussi par leurs grands gestes qui menaçaient de briser quelque chose à leurs visages, les deux agents de police retraitaient prudemment vers la porte. Si bien que nos deux gaillards, enhardis, se mirent à multiplier leurs offres de service et à se vanter au point de faire pâlir un Gascon.

— Et s’il s’agit d’un crime que vous avez commis, poursuivait Alpaca d’une voix presque tragique, ayez confiance en moi : car je sais attendrir les juges les plus durs, les jurés les plus entêtés, je sais faire pleurer les auditoires les plus froids et les plus indifférents.

— Car si vous avez commis tel crime, l’échafaud vous regarde, messieurs ! cria Tonnerre avec un geste redoutable.

— Car le bagne vous ouvre déjà ses portes infernales !

— Car le bourreau graisse déjà la corde qu’il vous passera au cou… faites donc vos testaments !

— Car la tombe s’ouvre sous vos pas… confiez-moi votre crime !

— Confiez-moi vos biens et vos fermes ! clama Tonnerre d’une voix stridente.

Mais déjà les deux agents, saisis de vertige, s’enfuyaient, dégringolaient l’escalier, se précipitaient au dehors et gagnaient leur machine qui bientôt détalait comme si le diable eût été agriffé à l’arrière.

Et Tonnerre lançait par la fenêtre un éclat de rire homérique. De son côté Alpaca, toujours grave, disait :

— Voilà deux individus qui sont bien près de devenir fous !

Tonnerre continuait à se tordre.

Henriette et Pierre, qui avaient entendu cette scène de la chambre où ils s’étaient réfugiés, mêlèrent leurs rires à celui de Tonnerre…


XVI

AU GUET


Il était huit heures du soir, lorsque Tonnerre et Alpaca, après un copieux souper, quittèrent leur nouveau domicile pour aller chercher les habits qu’ils avaient commandés chez certain fripier du Boulevard Saint-Laurent.

Le premier soin des deux amis en sortant fut d’inspecter les abords de la rue. Les passants étaient rares. Mais ils purent remarquer la sombre silhouette d’un homme stationné un peu plus loin du côté de la rue Dorchester.

— Que fait là ce type ? questionna Tonnerre.

De l’espionnage probablement, répondit Alpaca. Mais vu que nous avons affaire rue Saint-Saint-Laurent, prenons de ce côté de la rue Dorchester, de la sorte il nous sera permis de voir un peu la binette de ce particulier.

— Allons ! acquiesça Tonnerre,

Et tous deux partirent dans la direction de l’individu qui, à la vue des deux compères, se mit en mouvement pour s’avancer à leur rencontre.

La minute suivante, Alpaca et Tonnerre croisaient l’homme auquel ils jetaient un regard perçant, regard que leur rendit l’inconnu en poursuivant son chemin d’un pas délibéré.

De leur côté nos deux amis poursuivirent leur route. Alpaca dit :

— Gare à nous… nous sommes surveillés !

— Nous nous gardons ! répliqua Tonnerre. Mais gare à lui… gare à tous !

Et sans plus un mot ils accélérèrent le pas.

En tournant sur la rue Dorchester ils se heurtèrent à un jeune homme qui, lui aussi, marchait à une vive allure.

Le choc fut si violent et si inattendu que Tonnerre perdit l’équilibre et tomba lourdement sur le trottoir non sans lâcher un juron énorme.

Quant à l’inconnu, il n’avait fait que chanceler un peu et reculer de deux pas.

— Vous êtes donc aveugle, vous ? demanda Alpaca.

— Ôtez-vous de mon chemin, imbéciles ! rétorqua le jeune homme qui voulut passer.

Mais Tonnerre, qui, d’un bond, s’était remis sur pied, lui barra le passage.

— Pardon, monsieur, dit-il en même temps de sa voix criarde, vous nous devez bien, je pense, des excuses.

— Place ! rugit l’inconnu qui se ramassa pour ainsi dire sur lui-même et s’apprêta à bondir en avant.

— N’est-ce pas qu’il est gros, celui-là ? fit observer Alpaca en s’opposant au passage du jeune homme.

— Il veut que nous nous ôtions de son chemin, répliqua Tonnerre, lorsque c’est lui qui est sur le nôtre. Comprenez-vous cela, cher Maître de mon cœur ?

L’inconnu cherchait, par des zigzags, à droite et à gauche, à se faire un chemin, mais toujours l’un ou l’autre de nos deux amis l’empêchait de passer en goguenardant à qui mieux mieux.

— Monsieur, dit enfin Alpaca d’une voix impérative, nous sommes pressés.

— C’est à vous de céder, étant le moins pressé, ajouta Tonnerre.

— Misérables ! rugit l’inconnu. Prenez garde que j’appelle la police ! Puis il fonça tête baissée sur les deux compères.

D’un simple coup d’épaule Alpaca rejeta l’homme en arrière, pendant que Tonnerre nasillait :

— Si vous appelez la police, c’en est fait de votre liberté, car vous êtes l’assaillant.

Alors seulement, l’inconnu, qui reprenait rudement haleine, remarqua la mine douteuse des deux gaillards et leurs physionomies gouailleuses. Il ébaucha un sourire de mépris et dit :

— Savez-vous qui je suis ?

— Vous ne devez pas être l’Empereur ! ricana Tonnerre.

— En effet, nous ignorons qui vous êtes, cher monsieur, fit poliment Alpaca. Vous seriez bien aimable de nous l’apprendre.

— Soit. Sachez donc, mes gaillards, que je suis avocat… Mon nom est Montjoie !

— Monsieur, prononça Alpaca en s’inclinant révérencieusement, très honoré de vous connaître.