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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

cherchaient un domicile. Mais l’un des inconnus lui demanda aussitôt, en anglais :

— C’est ici que demeure Monsieur Lebon ?

Surprise par cette question à laquelle elle ne s’attendait pas, Mme Fafard ne répondit pas tout de suite. Son trouble fut remarqué par les agents qui échangèrent un coup d’œil d’intelligence.

Le deuxième agent vint de suite à la rescousse en se servant de la langue française.

— Monsieur Lebon, fit-il avec un sourire bonhomme, il est là, n’est-ce pas ?

— Oui… balbutia enfin Mme Fafard.

— C’est ce que nous pensions, dit le même agent avec un air satisfait.

— C’est-à-dire, se reprit Mme Fafard d’une voix bien tremblante qui la démentait, que Monsieur Lebon demeure dans cette maison, mais il est absent à cette heure. Et ce pieux mensonge mettait sur le visage de la brave femme une forte couche de cramoisi.

Un sourire ambigu plissa les lèvres des deux agents.

— Ah ! il est absent, reprit le premier agent, mais en français cette fois. Il est absent de la ville sans doute ?

— Oui, monsieur.

— Pouvez-vous nous dire où il est allé ?

— Je l’ignore, répondit la pauvre femme qui se sentait mourir, si peu habituée à mentir qu’elle était.

Les deux hommes se consultèrent du regard.

— Madame, fit le second agent sur un ton sévère, je dois vous déclarer de suite que nous sommes de la police.

Mme Fafard chancela.

— Et, continua l’agent, une grave accusation pèse sur votre locataire. Nous sommes chargés, en cas d’absence de ce dernier, de faire une perquisition dans son appartement.

Mme Fafard, n’ayant pu être prévenue et ne pouvant deviner l’entente qui venait d’être arrangée entre nos amis, demeura confondue et sans voix. Seule sa pensée vacillante exprima ces deux mots :

— Les malheureux !…

— Madame, voulez-vous nous indiquer l’appartement de Monsieur Lebon ?

— Oui, monsieur… parvint à bégayer la pauvre femme dont les jambes se dérobaient sous elle. Et incapable de trouver une ruse quelconque qui aurait pu lui donner le temps de prévenir ou de faire prévenir le jeune inventeur, elle laissa entrer les deux agents, et leur indiqua le chemin à suivre en montrant l’escalier.

— Montez… au premier, dit-elle presque indistinctement, la deuxième porte à gauche.

— Merci, Madame, dit un des agents avec un sourire de triomphe. Et se penchant à l’oreille de son compagnon il murmura : Nous le tenons !

Les deux hommes furent peu après devant la porte indiquée par Mme Fafard, et trouvèrent cette porte hermétiquement close.

L’un d’eux frappa rudement.

— Entrez ! cria aussitôt de l’intérieur une voix aigre et perçante.

Les agents poussèrent la porte pour se trouver en présence d’Alpaca assis dans la berceuse et plus grave qu’un sénateur romain en sa chaise curule, et de Tonnerre béatement allongé sur le sofa et fumant avec allégresse une pipe toute neuve bourrée du meilleur tabac.

Les agents s’étaient arrêtés un peu décontenancés, tant ils s’attendaient de trouver, au lieu de ces deux inconnus dépassant l’âge mûr, un jeune homme dont ils possédaient le parfait signalement.

Entrez donc, messieurs ! commanda Alpaca de sa voix profonde et sévère.

Machinalement les deux hommes obéirent pour repousser la porte derrière eux.

— Asseyez-vous, reprit Alpaca en leur indiquant des sièges, et veuillez nous dire, je vous prie, ce qui nous vaut l’honneur de votre visite.

Les deux hommes demeurèrent debout paraissant étudier les êtres et les choses du petit cabinet de travail. À la fin, l’un d’eux dit :

— Pardon… nous pensions trouver ici Monsieur Lebon !

— Monsieur Lebon ?… s’écria Alpaca en se levant avec vivacité pour s’approcher des agents. C’est moi-même, messieurs, ajouta-t-il. Et si c’est pour des services professionnels, je suis à vous… Maître Alpaca-Lebon, conclut-il en s’inclinant.

— Et moi, fit à son tour Tonnerre en accourant se ranger à côté de son compagnon, je suis notaire… Maître Tonnerre-Lebon, à votre service, messieurs !

Les deux agents échappèrent un geste de surprise.

— Nous sommes, en effet, Messieurs Lesbons, compléta Alpaca avec une nouvelle révérence.

— Hommes de loi tous deux, ajouta Tonnerre.

— Si c’est pour une cause civile ou criminelle, reprit Alpaca, vous ne trouverez pas mon pareil et je vous garantis le succès.

— Si c’est pour contrat quelconque ou acte notarié, fit Tonnerre, je vous rédigerai cela sans équivoque.

— Nous cherchons… voulut dire un des agents tout ébaubi…

— Un plaideur de première force ?… interrompit Alpaca, je suis l’un, messieurs.

— Ou un expert en rédaction légale ?… je suis l’autre, dit Tonnerre.

— Non, ce n’est pas… tenta de dire l’un des agents.

— C’est peut-être, interrompit Alpaca, un appel en Cour Suprême ?…

— Ou bien pour un testament qui ne laissera aucune prise aux tribunaux ?

— Non… cria l’un des agents avec colère, il ne s’agit ni d’appel ni de testament, mais…

— Bon, je vois ce que c’est, interrompit Tonnerre très sérieux, c’est un contrat de mariage. Vous tombez bien, messieurs, c’est ma spécialité, les contrats de mariage. Ou bien, serait-ce par hasard un acte de vente, cession, donation entre vifs… à moins qu’il ne s’agisse simplement d’un emprunt hypothécaire ?… Je suis de tout cela, chers messieurs.

— Peut-être est-ce un divorce que vous désirez soumettre à la magistrature ?… Je suis légiste, messieurs.

Et moi, notaire, je pourrai en style ondoyant préparer l’acte de divorce en y mentionnant toutes concessions, biens meubles et immeubles, pro-