Page:Lebel - La valise mystérieuse, 1930.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LA VALISE MYSTÉRIEUSE

Henriette se mit à rire aussi. Puis, reprenant son sérieux, elle dit :

— Pierre, savez-vous que j’ai fait l’expérience d’un phénomène curieux, phénomène au sujet duquel, du reste, j’ai déjà lu quelque chose.

— De quel phénomène, voulez-vous parler ?

— Voici. Dans l’espèce de léthargie où j’étais plongée, je pouvais saisir presque entièrement la conversation de mes deux sauveteurs. Alors je faisais des efforts inouïs pour parler, remuer, ouvrir mes paupières sur lesquelles semblait peser lourdement une masse de plomb. Mais je continuais à demeurer inerte et comme emportée dans les brumes, la vie elle-même, et je croyais entrer dans l’infini néant, quand encore les mêmes voix me frappaient, et j’entendais presque tout ce qu’ils disaient. Mais ce qui m’étonnait le plus, c’étaient les noms de ces personnages : Maître Tonnerre, disait l’un d’une voix basse et profonde… Maître Alpaca, faisait l’autre d’une voix aigrelette. Ma foi, j’aurais ri de tout cœur, si je l’eusse pu.

Elle éclata de rire.

— Que pensez-vous de ces deux hommes, Henriette ?

— Mon Dieu ! ils ne peuvent être que d’honnêtes ouvriers qui, comme tant d’autres, sont en quête de quelque chose à faire et de quelques dollars à gagner.

— Je le pense aussi. Ce qui m’intrigue, cependant, ce sont leurs manières polies, quoique exagérées.

— Et leur langage choisi, un peu musqué, sourit la jeune fille.

— Oh ! Je ne suis pas étonné outre mesure, reprit le jeune homme, car on rencontre quelquefois des ouvriers qui possèdent sous des dehors grossiers une certaine instruction et du savoir-vivre.

— Une chose sûre, Pierre, ce sont deux garçons braves et généreux à qui je dois de vivre à cette heure.

— Oui, Henriette, nous leur devons une grande reconnaissance. Aussi, s’ils cherchent un emploi, je suis sûr qu’à l’aide de nos relations il nous sera facile de leur trouver quelque chose de convenable.

— Mais j’ai déjà une idée à leur sujet, dit la jeune fille gravement.

— Quelle idée ?

— Je songe à m’assurer les services de ces deux hommes pour l’accomplissement de certains projets que je médite depuis ce matin.

— Peut-on connaître ces projets ?

— Pas maintenant, car ils sont encore mal définis. Toutefois, je peux vous dire de suite que ce sont des projets relatifs à ma mésaventure de la nuit passée.

— Vous ne m’avez pas encore mis au courant de cette mésaventure, Henriette ? reprocha doucement le jeune homme.

— Je vous prie de prendre patience, Pierre, sourit la jeune fille. Quand l’heure sera venue, vous saurez comment et pourquoi on m’a fait prendre ce bain de nuit qui a failli m’être fatal. Au reste, il y a là encore pour moi un pan de mystère que je veux essayer de pénétrer. Donc, même si je le voulais, je ne pourrais vous expliquer ce qui m’est arrivé.

— Connaissez-vous ceux qui ont attenté à votre vie ?

— Non. Mais je veux les connaître.

— Comme je l’ai deviné, il s’agit dans toute cette affaire mystérieuse de mes plans et de mon modèle de Chasse-Torpille.

— Parfaitement, Pierre. Aussi, je me suis juré de retrouver ces plans et ce modèle.

Vous avez donc une piste ?

— Oui.

— Naturellement, vous allez vous entendre avec Monsieur Conrad ?

— Non.

— Tiens !

— Pierre, je dois m’abstenir de revoir pour un certain temps mes patrons ni personne de la « Conrad Engineering Company ». Tout le monde doit ignorer ce que je suis devenue. Plus que cela, il importe que je passe pour morte. Et vous même, Pierre, vous devrez demeurer caché. Si l’on venait pour s’informer de nous ici, il faudra qu’on ne nous trouve pas. Le plus simple c’est de donner ordre à Mme  Fafard de dire simplement que nous sommes absents. Si donc vous ne tenez pas à ce que je sois jetée à l’eau une seconde fois, Pierre, il va falloir vous soumettre à tout ce que je vous commanderai de faire.

— Nous allons donc entrer dans le mystère ? sourit le jeune homme.

— Oh ! pas pour longtemps. Voyez-vous, nous avons des ennemis qui ont l’avantage de nous connaître et que nous, nous ne connaissons pas. À compter de ce jour nous devrons donc nous tenir sans cesse sur nos gardes, aller et venir avec beaucoup de circonspection et de prudence, ne sortir autant que possible que le soir, bref, veiller nous-mêmes à notre sécurité.

— Alors, vous ne sortirez pas aujourd’hui ? interrogea le jeune homme avec un éclair de joie dans ses yeux.

— Je sortirai ce soir seulement.

— Et où irez-vous ce soir ?

— C’est mon secret, mon cher.

— Et un mystère, sourit le jeune homme.

— Oh ! vous n’avez pas fini de passer par les mystères, se mit à rire doucement la jeune fille, et vous verrez probablement des choses qui vous étonneront au plus haut degré. Seulement, il faut me promettre que vous ferez tout ce que je vous demanderai de faire.

— Je vous le promets.

— Et vous aurez confiance en moi ?

— Toute ma confiance vous est acquise. Je sais que vous êtes intelligente et hardie, et puisqu’il s’agit de retrouver les plans et le modèle de mon Chasse-Torpille, je suis prêt à tout faire. S’il faut de l’argent, ma bourse vous est ouverte. Nous avons ces vingt-mille dollars que m’a payés Conrad, bien qu’à la vérité j’avais songé à les lui rendre.

— Vous n’en ferez rien, car nous avons besoin de cet argent pour accomplir les projets que je forme. Et puis, je suis certaine de retrouver les plans et le modèle.

— Bravo ! Henriette.

Ils furent interrompus par un heurt discret dans la porte.

Pierre courut ouvrir. C’étaient nos deux compères qui revenaient de la salle à manger. Ils