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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

dans les mêmes circonstances que s’est trouvée mademoiselle, nous aurions attendu le même dévouement ou mieux le même devoir de notre prochain.

— C’est juste, sourit Pierre. Tout de même, il importe de vous offrir l’hospitalité qui vous est due.

Et le jeune homme alla à un petit buffet duquel il tira des verres et une jolie bouteille de cognac.

À la vue de cette bouteille, Tonnerre lança un coup de coude dans les côtes de son compère, clignant de l’œil avec plaisir et dit :

— Attention, Maître Alpaca.

— J’admire la couleur de cette eau-de-vie ! murmura Alpaca, les yeux rivés sur la merveilleuse bouteille.

— Je lui rends à l’avance mille actions de grâces, et mille autres encore ! dit Tonnerre dont la figure rubiconde tournait au cramoisi.

Mme Fafard apporta l’eau et le sucre, et Pierre Lebon prépara la potion d’Henriette et la lui fit porter par la maîtresse de maison.

Puis il se tourna vers les deux compères, disant :

— Je devine pas mal, mes amis, ce qui s’est passé cette nuit. Mais je serais désireux d’en avoir tous les détails. Je vais vous verser à chacun un verre de cette liqueur, et je vous prierai de me faire le récit de ce que vous savez.

Les deux amis s’inclinèrent en silence,

Pierre les servit aussitôt leur verre de cognac.

— C’est du fameux ! remarqua Tonnerre en palpant son gosier.

— Ce n’est pas de la contrebande ! dit à son tour Alpaca en toussotant.

Et ce dernier se mit à faire le récit de leur aventure de la nuit.

Pierre fut émerveillé du courage de ces deux hommes, et il allait exprimer son admiration, lorsque Alpaca le prévint par ces paroles.

— Ah ! monsieur, nous oublions, Maître Tonnerre et moi, que nous avons une restitution à faire.

— Pardieu ! Maître Alapaca, fit Tonnerre, vous avez raison, j’avais oublié l’auto.

Pierre était plus étonné encore des noms étranges de ses deux hôtes.

— Et vous serez d’accord avec nous, cher monsieur, poursuivit Tonnerre, que cette restitution s’impose sans plus tarder. De sorte que…

— Un instant, dit Pierre qui comprit que les deux bizarres personnages allaient prendre congé. Je crois comprendre, suivant le récit que vous venez de me faire, que vous êtes tout à fait étrangers en cette ville, et que vous êtes aussi, sans vouloir vous offenser, croyez-moi, peu en harmonie avec le trésor de la Banque.

Les deux compères sourirent discrètement.

— Voici ce que je vous propose, poursuivit le jeune inventeur. En attendant que Mademoiselle Henriette puisse vous exprimer sa gratitude, vous, dit le jeune homme en regardant Tonnerre, vous irez conduire la machine à l’endroit où vous l’avez prise. Si, par hasard, quelqu’un se trouvait là pour vous créer des ennuis, attendu que vous avez pris cette auto sans permission à la porte d’une maison dont vous ne connaissez pas les propriétaires, téléphonez-moi et j’arrangerai la chose. Et quant à vous, monsieur, fit-il en regardant Alpaca, je vais vous indiquer une chambre inoccupée où je vous remettrai des vêtements secs. À son retour, votre ami vous y rejoindra. Est-ce convenu ?

— Monsieur, répondit Alpaca en s’inclinant, je ne saurais refuser une offre aussi courtoise et honnête.

Dès ce jour, monsieur, dit Tonnerre à son tour, notre dévouement tout entier vous est acquis.

— Bien, dit le jeune homme en souriant. Mais en attendant, que nous puissions faire plus ample connaissance, concluons notre entente par un autre verre.

— Ma foi, dit Tonnerre en rougissant de plaisir et en clignant de l’œil vers son ami, ceci est contre nos habitudes. Mais pour ne pas commettre un crime de lèse-hospitalité, nous n’aurons garde de refuser ce second verre.

Après cette nouvelle rasade Tonnerre, tout à fait guilleret, se précipitait hors de l’appartement, dégringolait l’escalier au risque de réveiller toute la maisonnée, et lançait bientôt son auto à toute vitesse.

Pierre Lebon, ensuite, entraîna Alpaca à travers un corridor et le fit entrer dans une chambre, jolie et proprement meublée, lui donna un vêtement de dessous et en disposa un autre sur une chaise, disant :

— Quand votre ami reviendra, il pourra mettre ce vêtement.

— Merci pour lui et pour moi-même, monsieur ! prononça une voix émue.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La chambre en laquelle Pierre Lebon avait introduit Alpaca s’emplissait d’un jour clair plein de soleil et des mille bruits divers de la rue.

Dans un lit blanc deux hommes venaient de s’éveiller, et deux têtes, présentant le plus entier contraste, émergeaient curieusement hors des draps. L’une de ces têtes étaient très chauve, l’autre très poilue. L’une avait une face rubiconde, bien rasée et enluminée, l’autre avait un visage blême encadrée d’une barbe noire en désordre. La seule analogie qui s’offrit, c’était l’ébahissement comique qu’exprimaient ces deux figures.

— Eh bien ! Maître Tonnerre, fit de sa voix caverneuse Alpaca, que signifie cette stupidité que je découvre dans votre figure ?

— Et vous, riposta Tonnerre, d’une voix aigre et fort enrouée, que veut dire cette hébétude qui frissonne aux poils de votre barbe hirsute ?

— Maître Tonnerre, répliqua Alpaca d’une voix sévère et digne, n’outragez pas ma barbe ! Car, sachez-le, je m’étonne seulement du confort presque royal qui m’enveloppe et m’enivre comme les douceurs d’un rêve printanier.

— Et moi, Maître Alpaca, très épris de ce rêve printanier, je me demande par quel moyen on le pourrait faire durer tout au moins jusqu’au rêve hivernal.

— Qui sait ?… soupira Alpaca. Car, une chose, nous sommes peut-être tombés, enfin, dans un milieu d’honnêtes gens.

— Par tous les testaments ! s’écria Tonnerre en claquant de la langue, si je me rappelle bien les