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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

— Autant que j’y peux voir, dit Alpaca à l’instant où la machine venait d’arrêter, c’est bien ici le numéro 143B.

— Je vais m’en assurer, dit Tonnerre en s’élançant vers la maison.

Il revenait aussitôt annonçant joyeusement :

— Nous y sommes, Maître Alpaca, pas d’erreur.

— Très bien. Je vais vous remettre la jeune dame et je vous précéderai vers la maison.

— Elle s’est donc évanouie de nouveau ? demanda Tonnerre.

— Et d’un évanouissement qui m’inquiète. Je crains qu’elle n’ait trépassé.

— Misère ! gronda Tonnerre. C’est égal, ajouta-t-il naïvement, nous tenterons de la ramener à la vie.

— À l’œuvre donc ! commanda Alpaca.

Peu après ce dernier pressait rudement le bouton de la sonnerie.

Quelques minutes se passèrent sans que rien indiquât un mouvement quelconque dans la maison silencieuse et sombre.

— Les gens sont donc sourds là-dedans ! grogna Tonnerre.

— Ils dorment sur leurs deux oreilles, répliqua doucement Alpaca.

— Je vois bien ça. Agitez encore la sonnerie, nous verrons bien cette fois.

Alpaca pressa longuement le bouton et de l’intérieur vint le bruit strident de la sonnerie.

— Je veux crever de soif, si cela n’amène pas un signe de vie dans la boutique ! maugréa Tonnerre avec impatience.

Mais le même silence persistait à l’intérieur de la maison.

— Pour sûr nous sommes chez une institution de sourds-muets, grommela Tonnerre avec plus d’impatience et de mauvaise humeur. J’ai bonne envie d’aller à la machine et de leur corner un air de trompette.

— Essayons une troisième fois, proposa Alpaca. Aux paroles il joignit l’action.

À cette minute un pas rapide et sonore résonna sur le trottoir. Puis le pas se rapprocha très vite, et, l’instant d’après, un jeune homme montait sur le perron. C’était Pierre Lebon.

À la vue des deux inconnus en manches de chemise, car nos deux braves avaient soigneusement enveloppé la jeune fille dans la redingote roussie et le veston crevé, et en apercevant ce paquet informe dont il ne pouvait préciser la nature et que tenait l’un des inconnus, il s’arrêta net avec un regard dur et défiant à la fois.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il rudement.

— Entrer dans cette maison, répondit Alpaca sur un ton courtois.

— Qui êtes-vous d’abord ?

— Deux voyageurs étrangers, dit Tonnerre à son tour, que la Providence a mis sur le chemin d’une pauvre jeune femme qui allait mourir d’une mort affreuse.

— Ça… une jeune femme ! s’écria Pierre étonné en examinant le paquet informe aux bras de Tonnerre.

— Ou une jeune fille… nous ne saurions nous prononcer sur ce point délicat.

Ces paroles étaient à peine tombées des lèvres d’Alpaca que Pierre, saisi d’un pressentiment, s’était brusquement rapproché et penché sur le visage de l’inconnue. Puis il sursauta en proférant ce nom avec la plus grande stupéfaction :

— Henriette !…

Et, comme s’il eût cru sortir d’un songe, il promena ses regards égarés et inquiets sur les physionomies des deux compères.

— Vous connaissez cette jeune personne ? interrogea Tonnerre. Une amie ou une parente, peut-être ? ajouta-t-il avec un accent sympathique.

Mais sans répondre Pierre tira une clef de sa poche, l’introduisit dans la serrure de la porte, poussa cette porte vivement et dit, en s’effaçant :

— Entrez, entrez… et montez cette jeune fille chez moi !

Les deux amis ne se firent pas prier, et, l’instant d’après, Henriette Brière était déposée doucement sur le lit de Pierre Lebon, dont l’appartement se composait d’une chambre à coucher et d’une petite étude.

Pierre Lebon alla réveiller la maîtresse de maison, qui s’empressa de monter et d’habiller la jeune fille de linge sec.

Henriette était revenue à la vie.

En reconnaissant Pierre, son fiancé, elle avait ébauché un sourire heureux.

Henriette, avait dit Pierre, vous êtes hors de tout danger. Mais peut-être, par prudence, vaudrait-il mieux faire venir un médecin ?

— Non, non, dit la jeune fille, ne faites pas venir un médecin. Je me sens mieux, quoique faible. D’ailleurs ça n’a été qu’un bain, sourit-elle.

— Si vous le voulez, reprit le jeune homme. Je vais vous préparer une potion au cognac. J’ai envoyé Mme Fafard chercher de l’eau chaude et du sucre.

— C’est bien. Je boirai votre potion, Pierre.

Le jeune homme allait rentrer dans son étude, quand il avisa près de la porte entr’ouverte les deux sauveteurs d’Henriette, il les avait oubliés. Alpaca et Tonnerre, toujours en manches de chemise, car Pierre avait également oublié de leur remettre la redingote et le veston qu’il avait jetés sur un siège de la chambre, demeuraient gênés.

— Ah ! mes amis, s’écria Pierre, je vous demande pardon de vous avoir un peu oubliés.

Il vit leurs pantalons et leurs chemises trempés.

— Voulez-vous du linge sec ?

— Non, non, monsieur, c’est trop de bonté de votre part, dit Alpaca, nous sommes très bien, ainsi.

— Si seulement c’était un effet de votre bonté de nous rendre à mon ami sa redingote et à moi mon veston, fit Tonnerre.

— Pardon ! sourit le jeune homme.

Il alla chercher la redingote et le veston que les deux compères endossèrent vivement.

— Mes amis, reprit Pierre, je veux vous exprimer ma joie et vous faire mes remerciements pour vous être dévoués pour mademoiselle. Elle-même, quand elle sera tout à fait remise, ne manquera pas de vous témoigner sa reconnaissance.

— Oh ! monsieur, sourit Alpaca, ne parlez pas de cela, nous n’avons fait que remplir un devoir de charité. Croyez que mon compagnon et moi,