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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

Néanmoins et en toute justice, il fallait bien admettre que cette jeune fille était très belle, mais sa beauté apparaissait, à ce moment du moins, froide et dédaigneuse. Au lieu d’attirer, elle repoussait. Au lieu de créer l’admiration, elle semait l’effroi.

Elle était vêtue d’une robe d’intérieur faite d’un tissu léger et soyeux et de nuance bleue qui faisait mieux ressortir la blancheur de sa peau. Cette robe de coupe parfaite habillait la jeune fille avec une élégance admirable. Et si Kuppmein ne regardait pas les yeux de la belle créature, il considérait souvent ses bras demi nus, ronds et blancs, et ses mains — les plus belles qui fussent — d’une finesse extrême.

Qui était cette Miss Jane ? On ne lui connaissait pas d’autre nom. Mais, chose certaine, c’était une personne de belles manières, instruite et imposante. Il eût été difficile de lui donner un âge juste : de prime abord elle paraissait toute jeune, dix-sept ou dix-huit ans. Mais un connaisseur ne se serait guère trompé en lui donnant vingt-quatre ou vingt-cinq ans.

Kuppmein, ce matin-là n’avait pas sa mine obséquieuse qu’il affectait avec James Conrad, ni ce ton autoritaire qu’il avait employé avec Grossmann et Fringer ; à présent, devant, cette étrange créature, il avait la façon basse et hypocrite du valet devant son maître.

Voici ce qu’il disait.

— Donc, en réponse à la dépêche du Capitaine Rutten, vous pourrez dire que notre affaire sera bâclée ce soir à moins d’événements tout à fait imprévus.

— Et si, d’aventure, vous ne réussissez pas ? fit la jeune fille d’une voix presque métallique.

— Je vous aviserai aussitôt, Miss Jane.

— Songez-y, monsieur, reprit sévèrement la jeune fille, le Capitaine entend ne plus souffrir aucun retard. Il demeure sous l’impression que vous, Grossmann et Fringer avez apporté plus de négligence que de zèle dans la mise à jour de cette affaire.

— Lorsque le Capitaine aura été mis au courant des difficultés sans nombre qui se sont présentées dans l’entreprise, il comprendra, soyez-en sûre.

— Ces explications vous regardent, répliqua sèchement Miss Jane, en lançant de ses lèvres rouges une bouffée de fumée blanche à la face de Kuppmein. Pour moi, ajouta-t-elle, je dirai seulement que l’affaire sera terminée ce soir.

— Je le préviendrai également en ce sens, tout en lui annonçant mon départ prochain pour New-York.

— Quel jour comptez-vous partir ?

— Demain, sans faute,

— Par quel convoi ?

— Convoi du Rutland, demain soir.

— En ce cas, nous ferons route ensemble probablement.

— J’en serai honoré et charmé, dit Kuppmein en s’inclinant avec son sourire servile. Mais là si vous me le permettez, je vous demanderai de vouloir bien me prêter votre précieux concours.

— En quoi puis-je vous être utile ? questionna Miss Jane, surprise.

— Oh ! en peu de chose… Il s’agirait simplement d’une toute petite mission que, seule, une femme comme vous, Miss Jane, peut mener à bien, insinua mielleusement Kuppmein.

— Et cette mission ? interrogea encore la belle fille en laissant voir des dents étincelantes dans un sourire moqueur.

— Voilà !… fit Kuppmein en montrant par la fenêtre ouverte l’appartement du colonel Conrad.

La jeune fille du regard suivit la direction désignée.

— Vous voyez cette maison ? demanda Kuppmein.

— Oui.

Eh bien ! le premier étage est habité par un officier de l’armée canadienne, le colonel Conrad.

— Ensuite ?

— Ce colonel Conrad m’a l’air d’un type aux allures très mystérieuses, et je ne le crois pas étranger au vol du modèle et des plans de Pierre Lebon.

— Et après ? fit encore la jeune fille avec son sourire moqueur.

— Votre mission serait, Miss Jane, de surveiller les allées et venues de ce colonel.

— Mon cher monsieur, répondit Miss Jane, vous venez trop tard avec votre mission ; depuis hier je me suis donné la tâche de surveiller le colonel.

Kuppmein demeura bouche bée et se mit à tirer nerveusement les pointes de sa moustache à la Guillaume.

— Comme vous en avez la preuve encore, monsieur, poursuivit sévèrement la jeune fille, vous arrivez toujours en retard, vous et les autres. Vous avez été devancés aux bureaux de James Conrad comme vous l’avez été chez Lebon. Et moi je vous ai devancés au sujet de cette surveillance qu’il importait d’exercer sur le colonel Conrad. Et si, hier, vous avez été roulés comme des niais, c’est précisément parce que vous avez négligé d’épier le colonel.

La jeune fille se leva brusquement et jeta sa cigarette à demi consumée.

Kuppmein comprit qu’on lui donnait congé. Il se leva et dit en s’inclinant :

— Ainsi donc, Miss Janes, nous nous retrouverons demain soir à la gare Windsor ?

— C’est probable, monsieur.

Et la jeune fille, sans plus un mot, reconduisit Kuppmein jusqu’à la véranda.

Six heures du soir étaient sonnées.

Assise tout près de la fenêtre du petit parloir, Miss Jane lisait. De temps à autre son regard brillant se fixait avec persistance sur le logement d’en face.

Le bruit d’une porte rudement fermée attira son attention. Elle leva la tête vers la maison de briques rouges, et elle vit un individu traverser le parterre fleuri. Elle regarda l’homme avec attention. C’était un jeune homme encore, assez grand et mince. Il avait une physionomie pâle et maladive, et sa figure était barrée par une énorme moustache noire dont les pointes étaient tournées en queue de cochonnet. Et cet homme, lorsqu’il fut arrivé à la rue, il s’arrêta près de la palissade et jeta, sur la fenêtre derrière laquel-