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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

— Je vous répète que je ne comprends pas ! riposta sèchement Kuppmein.

— Je vois ce que c’est, mon cher monsieur Kuppmein, et vous allez me comprendre très facilement. Du reste, comme je vous suis tout à fait étranger, il va de soi que vous cherchiez à jouer au plus fin.

— Je pense que c’est vous qui…

— Ensuite, interrompit l’inconnu, comme vous êtes très désireux d’acquérir par tous les moyens possibles et impossibles certains plans et modèle de certaine invention toute récente, — invention que tout bon allemand doit se faire un devoir de supprimer au profit de sa glorieuse patrie, il va de soi encore que vous vouliez me faire parler le premier. Or, étant l’un de ces hommes qui vont droit au but, je parle donc, et voici ce que je vous propose…

Avec une stupeur croissante Kuppmein regardait cet homme qui savait si bien mettre dans le ton et le geste une certaine aisance moqueuse.

Qui était cet homme ?… Comment en était-il connu, lui, Kuppmein ? Comment avait-il pénétré des secrets qu’on avait cru si bien à l’abri… Que voulait-il enfin ?…

Toutes ces questions effleurèrent à la même minute l’esprit mal à l’aise de Kuppmein, et il attendit, anxieux, les explications de l’inconnu.

Ce dernier poursuivit, toujours avec son air de badiner :

— Avant toute chose, mon cher monsieur Kuppmein, il est juste que je vous dise mon nom, puisque j’ai l’avantage de savoir le vôtre. Je conviens que deux honnêtes personnages qui se connaissent traitent toujours mieux les affaires délicates. Donc, je me nomme Parsons… Peter Parsons. Or, un pur hasard m’a donné vent de vos affaires et de vos projets, et comme je ne suis pas précisément le gérant de la Banque de Montréal, et qu’un peu d’argent dans mon gousset loin de l’alourdir, ne pourrait que l’alléger, tout en allégeant ma tranquillité d’esprit et la faim de mon ventre, je vous fais donc la proposition suivante : Pour bon et bel argent comptant je vous vendrai les plans et le modèle après lesquels vous courez à en perdre l’haleine, — plans et modèle que vous et vos dignes associés alliez tout à l’heure vous approprier par des moyens illégaux et dangereux. Je vous offre le tout pour une somme raisonnable que vous fixerez vous-même, attendu que je me fie à votre honnêteté.

Avec ces paroles dites sur un ton dégagé et goguenard, l’homme avait conservé à ses lèvres un sourire sarcastique.

Kuppmein ne répondit pas de suite. Ce que voyant Parsons reprit :

— Eh bien ! cher monsieur Kuppmein, que pensez-vous de ma petite proposition ? C’est tout ce qu’il y a de plus honnête, et l’affaire ne comporte rien qui puisse blesser vos scrupules.

— Où sont les plans et le modèle ? demanda brusquement Kuppmein.

L’autre se mit à rire.

— Vraiment, monsieur Kuppmein, vous n’êtes pas pressé… pas pressé du tout : Me voyez-vous, à votre place, vous poser une telle question ?

— C’est bon ! dit rudement l’allemand. Quand pourriez-vous me livrer ces choses que vous m’offrez ?

Cette fois l’inconnu abandonna son sourire moqueur et son accent narquois. Il répondit :

— Pas ce soir, car aller jusqu’à l’endroit où j’ai déposé ces « choses » sacrées entre toutes, c’est loin, en revenir, c’est plus loin encore, de sorte qu’il faudrait trop de temps. J’ai, pour onze heures précises, un rendez-vous très important. Mais demain soir, si vous le voulez, je me rendrai à l’endroit que vous m’indiquerez.

— Soit. Combien voulez-vous ?

— Je vous répète que je me fie à votre probité, répliqua l’individu en revenant à sa goguenardise. Naturellement, ajouta-t-il, vous êtes trop intelligent pour ne pas tenir compte des gros risques que j’ai pris et des dangers que j’ai bravés, et tout cela vaut bien quelque considération, il me semble.

— Oui, admit Kuppmein qui se prit à réfléchir tout en examinant du coin de l’œil la physionomie de l’homme, mais qu’il ne pouvait voir nettement.

Parsons alluma tranquillement une cigarette.

Kuppmein profita de cette opportunité pour scruter ardemment le visage de son homme. Mais il ne put découvrir qu’une barbe noire et touffue couvrant tout le visage. Cet homme lui semblait tout à fait étranger, et sa mémoire ne conservait pas d’image semblable à la figure de cet inconnu.

L’allemand demanda au bout de quelques minutes :

— Que dites-vous d’une somme de dix mille dollars ?

— Dix mille dollars ! fit l’inconnu en haussant les épaules avec un grand dédain. Il fit mine de tourner les talons et ajouta :

— Bonsoir, Monsieur Kuppmein, nous ne nous connaissons plus !

Et il fit quelques pas pour s’éloigner.

Kuppmein le retint.

— Un moment, dit-il. Je ferai un sacrifice en ajoutant une somme de… mettons trois mille dollars.

— Adieu ! monsieur Kuppmein, je vois que nous ne parviendrons pas à nous entendre.

— Combien voulez-vous donc ? interrogea Kuppmein avec humeur.

— Vingt mille… pas un sou de moins !

— C’est gros… voulut marchander Kuppmein.

— Pour vous, c’est possible. Mais je connais certaine personne qui me paiera les vingt mille et même le double.

— Soit, allons pour vingt mille.

— À la bonne heure, sourit l’inconnu.

— Seulement, ajouta aussitôt Kuppmein, je ne vous verserai d’abord que la moitié de la somme convenue contre remise des plans et du modèle, l’autre moitié vous sera payée à New-York, une fois que la marchandise sera entre les mains d’une personne pour le compte de laquelle je fais cette transaction.

— C’est parfait, sourit encore l’inconnu. Seulement aussi, contre versement de dix mille dollars je ne vous ferai remise que des plans.

— Et le modèle ?

— Je vous le livrerai à New York et vous me