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LA PETITE CANADIENNE

gne qui ! n y a pas de pèche tant que le coeur est pur. Allez, votre chemin et ne suivez que les sentiers fleuris de la vérité et de 1 honnêteté. Mettez dans mes mains l’arme silencieuse que vous donna Sam Hong et que vous portez maintenant sur vous. Sih ncieiisi inent, sans une question, le jeune homme lui remit un petit automatique dont le détonateur était recouvert d’un sans-bruit en cuivre. Ming-I.u-San le fit vivement disparaître dans son corsage. L attouchement de l’acier froid sur sa chair la secoua d un frisson involontaire. Braiement, ses petits veux noirs rencontrèrent les grands veux gris et intelligents de son obligé. - Pourquoi, demanda t-ii avec un soupir étouffé, avez-vous fait cela pour moi ? Ming-Lu San essaya de sourire. Caressant de ses doigts effilés le collier de jade, baissant la vue et mentant gentiment. - Parce que vous m’avez donné ceci. De retour à son logis de la rue Lagauchetière Ming Lu San entra par la porte à la clochette branlante. Une de ses compagnes était assise sur le tabouret près de la fenêtre. Tournant la tête, elle regarda Ming d’un regard empreint d’une satisfaction jalouse et malicieuse. Deux fois, depuis une heure, notre très honorable maître vous a demandée auprès de lui. —Je vais me rendre auprès de lui immédiatement. Soulevant la lourde tenture, elle disparut dans l’embrasure de la porte, monta l’escalier et s’introduisit dans l’appartement, de. Sam Hong. Celui-ci, occupé à déchiffrer les caractères bizarres des annales de la dynastie des Foug Eu, ferma le volumineux livre, h ; plaça près de. lui et regardant Ming à travers U lueur blafarde de sa lampe lotus : —Je vous ai fait appeler deux fois, lui dit-il doucement. Vous avez bien tardé. Mon âme désire être bercée dans les ondes cthérées de la musique. Chante pour moi Fleur d’Azur, Parfum des Roses. Ming prit sa guitare sur une console et s’assit en face de lui sur un tapis oriental. Touchant chaque corde successivement, elle chanta une langoureuse romance du Sud. La dernière note s’éteignant dans une vibration plaintive. Sam Hong alluma un de ces bâtons parfumés qui brûlent devant les dieux grimaçants et le jeta dans un vase d’albâtre. ™Ta voix, dit-il nonchalemment, est comme le murmure du vent soupirant à travers les jeunes feuilles. De tous les pétales du lotus qui s’épanouissent au nouvel an, tu es le plus rare et le plus beau. Tu es semblable au scintillement des étoiles. De sa main glabre, montrant la guitare :

(/hante encore.

Ming chanta diligemment une berceuse du siècle écoulé, tandis que son maître écoutait avec des yeux mi-clos. --(’harmeuse. s’écriâ t il. comme elle pinçait la dernière corde, tant que. tu ne tus pas arrivée j’étais énervé et mélancolique. Maintenant, mes sens sont apaisés et mon âme, légère comme les esprits parcourant la voie, lactée par une belle nuit lunaire, s’élance vers toi. Chante encore une fois, bijou d’agate. Ming-I.u-San chanta. I.a fumée de l’encens brûlant auprès d’elle l’étouffait. Sa voix perdant de l’ampleur, elle se tut. - Avais-tu beaucoup d’acheteurs ce soir, demanda Sam Hong indifféremment, que tu ne sois pas venue près de moi à mon premier appel ? Ming Je regarda sans broncher. - -Non, dit-elle d’une voix caressante, il n’y avait personne au comptoir. Le dragon du mécontentement s’empara de moi et j’allai par les rues promener mon coeur las. Sam Hong caressa sa moustache et continua de sa même voix nonchalante : —Ne sais-tu pas que. la désobéissance est un des sept péchés cardinaux ? Si tu n’étais pas belle comme l’aurore et ta voix douce comme le. gazouillement du rossignol, je ne te pardonnerais pas. Que la chose ne. se répète jamais. Un frisson d’espoir parcourut l’épiderme de Ming : —Je vous promets obéissance totale à l’avenir, répondit-elle grave et solennelle. Paresseusement assis sur d’épais coussins, Sam Hong tenait ses mains enfouies dans les immenses manches-surplis de son kimono, si diversement ouvragé de riches dessins et d’hiératiques arabesques, —Ce qui se murmure à l’oreille s’entend à des milles de distance. Dis-moi donc quel était ton sujet de conversation avec ce jeune démon de la race maudite que tu attendis une demi-heure sur la rue Sainte-Catherine ? Ming-Lu-San croisa ses délicates mains. Pendant une minute elle étudia attentive¬