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LA PETITE CANADIENNE

parée. D’un mouvement gracieux elle enleva le précieux bijou, le contempla longuement , ct. enfin, appliqua ses lèvres à l’endroit où l’inconnu avait posé les siennes. II Ce ne fut (pie -deux jours plus tard que Sam Hong parla a Ming-Lu-San du jeune homme qui lui avait donné le collier de jade. Assis sur des coussins de soie richement brodés, au milieu de son luxueux appartement, il fumait une pipe à très long tuyau dans laquelle il mettait de temps en temps une pincée de tabac. En face de lui. assise à l’indienne. Iling-I. u-San pinçait les fils d’acier d’une guitare chinoise. — Lorsque l’âine est oppressée, dit Sam Hong, la voix humaine modulant un chant stimule autant qu’un chaud ravon île soleil. Chante une romance du pays des pagodes, ma Fleur d’Az.ur. Ming-I.u-San toucha une corde frissonnante. Penchant sa belle tête noire, elle chanta d’une voix fluette et agréable ; La lune est une lampe de cristal. Et les étoiles en sont les rayons Que la nuit follement embrasse. Gentiment le rossignol chante line lancinante sérénade d’amour Comprise des seules oreilles des amoureux. Sam Hong savoura ce chant tandis que les doigts de sa main potelée tiraient les poils de sa moustache pendante. — C’est beau, murmura-t-il, cette chanson réjouit par sa nécromancie. Elle peint des figures d’ombres et de désirs. Elle inspire un ennui de la rue des Etoiles Filantes de San Francisco, Avant. la fin du prochain mois lunaire, les dieux, dans leur bonté, permettront que nous y retournions pour toujours. Ming-Lu-San releva vivement la tête. Ah ! puisse-t-il en être comme vous dites, auguste seigneur et maître. La figure de Sam Hong s’épanouit d’un large sourire de désir inassouvi. —Les ailes royales de l’aigle et celles toutes faibles de l’innocente colombe nous y ramèneront sûrement si les dieux nous sont propices. Tout dépend du jeune homme que tu conduisis près de moi voilx deux crépuscules. Une fois le travail pour lequel je l’ai en partie pavé terminé, nous ouvrirons nos ailes frémissantes aux zéphirs de l’aurore naissante et nous irons bâtir notre nid à l’éblouissante clarté de l’éternel été. Réjouismoi d’une autre romance, Parfum de l’Héliotrope. De nouveau, Ming pinça les cordes de sa guitare et chanta, le coeur traversé d’un dard acéré. Il lui était si facile de comprendre les paroles mielleuses de Sam Hong. Comme la plupart de ses jeunes compatriotes ayant diligemment lu et étudié les Douze Livres de la Virginité de Confucius, sa compréhension de la vie était très développée. Tout en chantant Ming songeait. Sam Hong était l’instrument occulte d’une mystérieuse et puissante organisation chinoise dont le chef résidait à Hong Kong. Des ramifications de cette société secrète s’étendaient à toutes les grandes villes du Canada et des Etats-Unis. Il en était l’ambassadeur anonyme. Une tenaille diabolique encerclait ses compatriotes. La trace sanglante mais jamais découverte de ses crimes occultes traversait le continent. Ming-Lu-San savait qu’actuellement sa main criminelle dirigeait une vendetta contre la faction chinoise des Quong Sings. Elle savait qu’il avait dirigé le bras de l’homme au poignard de la rue des Etoiles Filantes de San Francisco et elle comprit à l’instant que ce magasin camouflé de la rue Lagauchetière n’était qu’une réplique de celui d’où elle avait été retirée. De différentes conversations entendues, celui dont il s’agissait maintenant de trancher le fil de la vie, c’était IIop-Li, propriétaire d’un riche restaurant de l’est de la rue Sainte-Catherine. Elle savait que IIop Li était le chef et le trésorier des Quong Sings pour tout le Canada. Le soir suivant, comme l’obscurité descendait lentement sur la ville trépidante, le jeune homme au collier de jade se présenta au magasin de Sam Hong. Ming-Lu-San occupée près d’une pratique querelleuse vit une des deux autres jeunes filles employées au magasin se rendre auprès de Sam Hong et revenir chercher le visiteur. Dès que l’acheteur qui l’occupait fut parti, Ming monta à la hâte au réduit qu’elle occupait sous le toit. Elle jeta un manteau sur ses épaules et attendit quelques instants que le tremblement nerveux dont elle était secouée se calmât. Ensuite, silencieusement, elle redescendit les escaliers et se glissa dehors par la porte d’arrière, tremblante de crainte,