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LA PETITE CANADIENNE

BEAUTÉ DE LA FEMME Seul produit de ce genre qui engraisse et développe la poitrine dans 30 jours. Garanti iiioffenmf. Aucune pilule ou drogue à prendre. Envoyer 5 sous pour brochurette. Culture de Beauté Orientale Casier Postal 50, Station *’N° MONTREAL, P. Q. noncé lentement, et d’une voix chantante. Très intelligente, le cours de six mois qu’elle avait suivi à l’école des Soeurs Missionnaires de l’immaculée Conception, lui avait permis de se familiariser avec la langue française, qu’elle continuait à étudier dans ses loisirs. Le jeune homme fit signe que non, fouilla dans ses poches et en sortit, un bristol : Je désirerais voir Sam Hong, dit-il. Ming-Lu-San, de ses lèvres carminées, fit une moue pensive. Un voile de tristesse aussi subit et aussi incompréhensible que son sourire d’un instant s’étendit sur elle, crispant ses traits. Un rapprochement logique, se fit en son esprit. Ce mouvement, si simple en soi, d’un homme tirant une carte de sa poche À Montréal et demandant à voir Sam Hong devait avoir la même signification que lorsque ce geste sc faisait au Chinatown de San Francisco, en demandant Fou Hong, le frère de son maître actuel.

S’il vous plaît attendre quelques instants 

-• - lui dit-elle en s’inclinant, gracieusement, je vais dire que vous êtes ici. Vous plairait-il me dire votre nom ? Le jeune homme, d’un geste nonchalant, remua les épaule». —Qu’importe mon nom ! Dites-lui que Nicolaï Solaska, le propriétaire du < Pawn-Shop » de la rue Cadieux m’a donné cette carte. Il comprendra. Ming-Lu-San, salua et ouvrit une porte masquée, par une draperie vieil or sur laquelle se détachait un dragon pourpre. L’ouverture laissa voir un corridor obscur, suintant l’humidité. Sans bruit Ming-Lu-San le suivit et monta lentement un escalier branlant. Un vif désir de revenir sur ses pas et de dire à l’étranger que Sam Hong n’y était pas s empara d’elle. Mais la crainte des peines morales et physiques .à endurer si sa supercherie était découverte, lui ôta tout courage, et elle continua à monter. [tendue au premier palier elle frappa discrètement à une porte faisant vis-a-vis a l’escalier, l’ouvrit et entra dans une chambre resplendissante des beautés de 1 Empire Céleste. Au milieu de tapisseries superbes brodées de fils d’or et d’argent, à franges pourpre, de paravents laqués, de. vases pansus et multicolores datant des vieilles dynasties, son maître, Sam Hong, assis sur un sofa bas. capitonné et moelleux, dorait avec une attention soutenue une figurine de bronze. Ming-Lu-San le regarda silencieusement. 11 était gras, fade et bienveillant ; une figure chinoise inexpressive, aux yeux obliques, perçants, aux pommettes saillantes à la moustache pendante. De grandes lunettes montées en or lui donnaient l’apparence d’un bronze enfoncé dans les méditations confuciennes, et une certaine dignité calme de savant. Il semblait impossible à Ming-Lu-San que cet homme put avoir un coeur si fermé à tout sentiment humain et si noir ; les derniers mois, quatre ou cinq crimes commis au sein de la colonie chinoise l’avaient été à son instigation. Ming-Lu-San se demanda si elle ne rêvait pas !. . . Quoi ! cet homme, était-ce bien Sam Hing, le maître incontesté de tant de vies humaines Se pouvait-il que cette main jaune et potelée, tînt les fils faisant agir toute une armée de valets invisibles, comme autant de pantins du Guignol ! Quoi ! de ces lèvres sensuelles sortiraient des ordres brefs et concis obéis sans récriminations ! Quel était donc le serment irrévocable liant les adeptes d’une société secrète diabolique, qui, au temps arrêté, faisait disparaître tel homme désigné à sa vindicte ! Sam Hong déposa son pinceau et par respect enleva ses lunettes. — Qu’y a-t-il, Fleur d’Azur, demandat-il en Yup Kim, le plus mélodieux des quarante dialectes de la Chine. Ming-Lu-San s’avançant fit une révérence profonde et respectueuse. —Un diable d’étranger, dit-elle, désire vous voir. Il a refusé de donner son nom mais il se dit porteur d une lettre d’introduction de Nicolaï Solaska. Il attend votre bon plaisir.