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LA PETITE CANADIENNE

La Rose sans Pareille

Les illusions commencent tôt dans la vie. I.’enfance en a, l’adolescent en a, mais on peut dire que c’est à vingt ans seulement qu’elles prennent corps, se groupent, se cristalisent, fleurissent en tempête, pleinement, largement. Elles ont, pour ainsi dire, formé une rose magnifique aux pétales sans nombre, aux riches couleurs, aux capiteux parfums au fond des coeurs. Et nous en sommes conscients, nous la sentons qui s’ouvre avec splendeur, tressaille, embaume, et cette sensation est si douce, si chaude, si enivrante que nous refusons d’examiner de plus près ces pétales, ces couleurs, ces parfums de peur

Mais tout cela est vrai, tout cela ne peut pas n’être pas vrai. . .

Jusque-là nous voyions passer le spectacle de la vie sans nous illusionner sur lui. Il était ce qu’il était. Nous n’y attachions pas plus d’importance qu’à nos jeux d’enfants et d’adolescents. Mais soudain voici que nos yeux s’ouvrent, fixent, saisissent, “réalisent’’ la beauté qui passe, la perspective infinie de l’avenir, les possibilités des choses, et c’est alors comme si nous ouvrions pour la première fois nos yeux sur le monde visible en même temps que sur le rêve. Les fleurs sont plus fraîches, plus chaudes de couleurs, et leurs parfums ont des secrets que nous ne connaissions pas encore, des parfums étranges, profonds, troublants, sans fin.. . Les feuilles sont plus vertes, le soleil plus splendide, le ciel plus beau, plus attirant, plus vaste. Les êtres humains ont des figures nouvelles pleines de promesses, de douceur, de bonté. Elle sont étranges aussi quelquefois ... Certaines sont comiques... Est-ce que nous sommes ainsi, nous ? La jeune fille consulte son miroir, curieuse, et, toute étonnée de sa grâce et de sa beauté, elle sourit... Le jeune homme s’enorgueillit de même et chante, dans la griserie de scs vingt ans aux illusions innombrables et bénies. C’est la Rose magnifique qui s’affirme et s’épanouit dans toute sa beauté... Jamais, non, jamais nous n’avons été plus heureux ! pensent-ils. La vie est belle et s’étend bien loin devant nous. Demain, nous aurons la position enviée, l’amour, le bonheur, la récompense de notre talent, de nos talents ; demain ce sera la gloire assurément, et ce ne sera que justice . . . N’en doutons pas. Si l’âtne est saine et belle, nous jugeons les autres par ce qu’ils sont, et nous refusons de croire à la laideur, à l’envie, à la haine... Certes, les secrets du coeur humain nous échappent encore — le connaîtrons-nous jamais ?

— et nous ne sommes pas grands

clercs en psychologie, mais qu’importe à l’esprit de vingt ans, au coeur de vingt ans ! Est-ce que la Rose magnifique fleurirait de toutes ses pétales si nous en étions les maîtres ?

Non ! la vie est belle et bonne. Elle donne tout ce qu’on lui demande, ce (pi on attend d’elle, ce que son aurore nous promet. L’amour est réel et pur, l’amitié sincère, éternelle, l’effort est toujours réconqx’nsé, le travail toujours fécond, la gloire, toujours saisissable. . . On n’a qu’à vouloir tout cela et, presto, c’est le bonheur qui vient — ce bonheur que le Créateur nous a mis dans l’âme comme un désir lancinant, sans fin. Et la Rose magnifique aux pétales innombrables faites d’illusions toujours épanouies fleurit sans trêve de toute la beauté de sa beauté entière.

Ce n’est que peu à peu — plus tard — que les pétales se tachent, se rouillent, pendent et tombent, mais y pense-t-on à vingt ans ? Et puis, s’il est vrai qu’un jour ils tombent, en serons-nous amoindris, révoltés, désespérés ? Non. Nous accepterons l’inévitable avec mélancolie et ne craindrons pas de relever la Rose pitoyable, aux pétales bien rares maintenant, pour aller la replanter plus haut — près des étoiles —- où elle redeviendra la Rose magnifique aux pétales innombrables -— qui ne se flétriront plus, . .

A. P.

Des convictions sincères et le désir ardent de les faire partager à d’autres jx-uvent s’allier au respect le plus absolu pour toute conscience et toute conviction.—Elisabeth l.eeeur. Si l’opinion publique daignait s’enquérir d’où elle vient et de quelle manière elle se forme, elle aurait honte d’elle-même. Cte de Belvelse.

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Il y a des méchants qui seraient moins dangereux s’ils n’avaient aucune bonté. — La Rochefoucauld.