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LA PETITE CANADIENNE

joie, qui s’était chargé de la défense de James Conrad, pénétrait dans le cabinet du juge précédant Mme Conrad et Ethel. Le magistrat accueillit avec bienveillance les deux femmes.

Il y avait dans le cabinet un greffier et deux huissiers.

Montjoie s’entretint quelques minutes avec le magistrat, mais d’une voix si basse que personne ne put entendre. Puis le magistrat fit un signe à un des huissiers à qui Montjoie avait murmuré quelques paroles.

Les deux huissiers sortirent et revinrent quelques instants plus tard accompagnant l’ingénieur James Conrad.

Celui-ci courut à sa femme et à sa fille qu’il embrassa tour à tour. Il y eut quelques minutes d’émotion, puis Conrad se tourna vers le magistrat près duquel se tenait l’avocat et demanda :

— J’espère, monsieur, que vous allez m’entendre enfin !

— Oui, tout à l’heure, répondit le juge avec un sourire énigmatique. Mais quant à présent, je peux vous dire que vous êtes libre, seulement, vous devrez demeurer à ma disposition pour un certain temps.

L’ingénieur fut si ému qu’il ne put trouver de paroles pour exprimer sa joie et sa reconnaissance. Mais se doutant bien qu’il devait cette liberté à Lucien Montjoie, il alla à lui, lui serra les mains et dit seulement :

— Merci !

Et il retourna près de sa femme et de sa fille où les épanchements recommencèrent.

Sur un autre signe du magistrat les deux huissiers étaient repartis. Ils revinrent peu après amenant cette fois un prisonnier les menottes aux mains, et ce prisonnier était Fringer. Oui, Fringer qui parut avec un sourire narquois aux lèvres.

Le juge le regarda froidement et demanda :

— Êtes-vous disposé à parler maintenant, Karl Fringer ?

Celui-ci promena un regard inquisiteur autour de lui, puis branla la tête et répondit :

— Il manque quelqu’un devant qui je veux parler !

— C’est bien, sourit le juge. Asseyez-vous.

Le magistrat consulta sa montre et dit en regardant Montjoie.

— Robert Dunton n’est pas encore venu !

À cette instant même on frappa dans la porte.

Un huissier courut ouvrir. Là, un messager lui remit une lettre à l’adresse du magistrat.

L’instant d’après le magistrat prenait connaissance de la lettre, puis se tournant vers Montjoie et Conrad et dit :

— Monsieur Dunton m’avise qu’il ne viendra pas. Mais il m’informe également qu’il retire toutes ses accusations contre Monsieur Conrad, affirmant qu’il s’est trompé et qu’il a été trompé.

Cette nouvelle parut causer beaucoup de satisfaction parmi nos amis.

Puis le juge reprit :

— Mesdames, messieurs, je tiens à vous prévenir que cette séance n’est pas régulière ; mais je l’ai autorisée et je m’y suis prêté aux instances de Monsieur Montjoie. D’ailleurs, je reconnais qu’il eût été injuste de traîner des innocents devant un tribunal régulier et un public souvent malveillant. Et à présent que Monsieur Dunton retire ses accusations contre son associé, il ne reste plus que la cause de Karl Fringer que je dois renvoyer pour enquête demain devant le tribunal régulier.

— Monsieur le juge, dit alors Montjoie, ne serait-il pas opportun de recevoir la déposition de William Benjamin avant de clore la séance.

— Au fait, mais il sera bientôt neuf heures et demie, et ce William Benjamin n’est pas encore ici. Êtes-vous sûr qu’il viendra ?

— Oui, je suis sûr à moins qu’il ne lui arrive un malheur.

Au nom de William Benjamin, Ethel Conrad avait violemment rougi.

Quant à Fringer il avait tressailli et perdu un peu de son air narquois.

— Soit, consentit le magistrat, nous allons attendre un quart d’heure encore.

Pendant quelques minutes le juge dicta des notes à son greffier. Lucien Montjoie profita de ce répit pour se joindre au groupe formé par Conrad, sa femme et sa fille, et tous quatre s’entretinrent intimement et à voix basse.

Quant à Fringer, toujours gardé à vue par ses deux huissiers, il ferma les yeux et feignit de dormir.

Dix heures sonnèrent à une petite pendule placée sur la table du magistrat.

Celui-ci se leva avec une certaine impatience et dit :

— Je pense qu’il est inutile d’attendre plus longtemps, je renvoie le prisonnier Fringer à sa cellule et je lève la séance.

À ce moment dans le corridor résonnèrent des bruits de pas, des murmures de voix qui furent dominés par une toux claire et sèche.

— Monsieur le juge, dit Montjoie, je pense que voici ceux que nous attendons.

En effet, bruits de pas et murmures de voix se turent subitement derrière la porte du cabinet, et une main frappa dans cette porte.

Un huissier alla ouvrir.

Ce fut d’abord le policier Craigton et son camarade qui entrèrent poussant devant eux Peter Parsons.

— Ah ! voici un témoin intéressant ! murmura Montjoie à l’oreille du juge.

— Vous voulez dire un bandit ? sourit le juge.

Fringer, à la vue de Parsons, avait amplifié son sourire ironique. Mais le regard que lui lança Parsons, fut un regard si terrible, que l’Allemand tressaillit et pâlit.

Mais déjà trois autres personnages franchissaient le seuil de la porte, et c’étaient nos amis Alpaca et Tonnerre supportant William Benjamin, qui apparut livide, ensanglanté, chancelant et la poitrine déchiré par un accès de toux violent.

L’apparition du pseudo-banquier de Chicago créa une impression de curiosité et de sympathie à la fois.

Ethel, pour dérober la rougeur qu’avait fait naître le regard que lui avait lancé en entrant