Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
LA PETITE CANADIENNE

me si j’étais le pire des bandits ! Va-t-en, je ne veux plus voir ma fille !

Conrad était exaspéré.

— Soit, dit le policier.

Et celui-ci s’éloignait avec son épithète d’imbécile, quand un reporter qui se trouvait là et avait entendu, arrêta l’homme de police et lui dit :

— Amenez-lui sa fille quand même, ce qu’il vous a dit, il l’a dit avec raison et justesse. On met le boulet et la chaîne au pied du criminel de carrière, mais non au pied d’un innocent.

Et le reporter, enchanté d’avoir plaidé une cause juste, tourna les talons et s’en alla.

Deux fois souffleté, le policier s’éloigna à son tour mais en essayant de se donner un air d’importance, car l’importance est la marotte de certains policiers comme elle en est leur vessie.

Quant à Conrad, il avait eu pour le reporter un regard de reconnaissance, puis il s’était mis à marcher dans son étroit cachot.

Tout à coup il aperçut du coin de l’œil une fine et sombre silhouette obstruer à demi la clarté qui entrait dans sa cellule. Il s’arrêta net, une intense émotion le saisit à la gorge, et il balbutia :

— Ethel !…

Et comme s’il allait tomber, il saisit les tiges de fer de la grille et s’y cramponna.

— Oui, de l’autre côté de la grille Ethel Conrad, sa fille, était là, pâle, chancelante, dans des vêtements noirs.

— Pauvre père ! murmura la jeune fille en pleurant.

Les larmes de la fille eurent le pouvoir de rendre la force au père.

— Ne pleure pas, Ethel, je suis l’objet d’une méprise qui bientôt sera, je pense, tirée au clair.

— Oh ! mon père, ce n’est pas une méprise, mais une traîtrise dont vous ne vous doutez pas.

— Que sais-tu donc ?

— Tout ce qui vous arrive est l’œuvre de la jalousie et de la haine que nourrit contre vous Robert Dunton !

— L’insensé ! gronda Conrad. Aussi, je m’étonnais qu’il ne fût pas venu me voir.

— Ses accusations, fort heureusement, n’ont aucun fondement, et la justice saura reconnaître bientôt qu’elle a été la dupe de cet insensé, comme vous l’appelez si justement.

— Ethel, tu me réconfortes, merci. Mais parle-moi de ta mère. Dis-moi comment est sa santé. Ce qu’elle fait… ce qu’elle pense… Nul doute qu’elle se meurt d’inquiétude et de chagrin ?

— C’est vrai. Mais comme moi elle a bon espoir, et elle m’a bien recommandé de vous faire part de cet espoir. Elle aurait bien voulu m’accompagner, cette pauvre mère, mais elle a trop redouté de ne pouvoir supporter le spectacle de votre captivité.

— Pauvre Edna ! soupira Conrad pendant qu’une larme roulait sous son lorgnon.

— Maintenant, mon père, laissez-moi vous apprendre une nouvelle qui, je le souhaite, sera bien reçue de vous.

— Quelle est cette nouvelle ?

— Je vous ai trouvé un avocat.

— Un avocat ?… Tiens, je n’y avais pas encore songé.

— Cet avocat, mon père, depuis le jour de votre arrestation n’a pas cessé de préparer votre défense.

— Qui est-ce donc ?

— Vous ne devinez pas ?… Lucien…

— Montjoie ?… s’écria Conrad très surpris.

— Oui.

— Il ne m’a donc pas gardé rancune ?

— Nullement. Voici comment la chose s’est faite. Sur réception de l’affreuse nouvelle l’autre jour, affolée que j’étais, ne sachant ni que faire ni que penser, j’eus la bonne inspiration de téléphoner à Lucien. La nouvelle le stupéfia autant que je l’avais été, puis de suite il m’offrit ses services pour prendre en ses mains votre défense.

— Généreux garçon ! Ethel, je l’avais peut-être mal compris.

— Il en est d’autres aussi, père, que vous avez mal jugés et mal compris. Oh ! je ne veux pas vous faire aucun reproche, mais je vous le dis pour que justice leur soit rendue. Oui, d’autres aussi, que vous n’avez pu oublier…

— De qui veux-tu parler ?

— De Pierre Lebon et de sa fiancée, Henriette.

— Eh bien ! celle-là ne s’est-elle pas suicidée ? Et l’autre… n’est-il pas le voleur et peut-être la cause de cette mésaventure qui m’arrive ?

— Non, mon père, ni Pierre Lebon ni Henriette Brière ne sont les voleurs que vous pensez !

— Allons donc ! s’écria Conrad avec un sourire sceptique.

— Je vous jure que je dis la vérité.

— Et comment sais-tu cette vérité ? interrogea l’ingénieur tout surpris.

— Par Lucien en qui je crois, parce que Lucien m’a juré que l’accusation lancée contre Pierre Lebon et Henriette Brière est fausse et mensongère.

— Dis-tu vrai, Ethel !

— Et il m’a dit ceci : « Ethel, avant que bien des jours se soient écoulés, vous serez convaincue de la vérité de mes affirmations. Je ne vous en dis pas davantage… vous verrez ! »

— Ah ! ah ! fit l’ingénieur pensif.

— Et il a ajouté, continua Ethel : « D’ailleurs les preuves que j’amènerai seront irrécusables… » Et il était si convaincu, père, que sa conviction est devenue ma conviction. Et, dois-je vous le dire, j’avais toujours douté que Pierre et sa fiancée fussent des voleurs, cela me paraissait impossible, une folie !

— Mais alors, Ethel, comment expliquer la fuite de Lebon et le suicide d’Henriette ?

— Comme vous, c’est vrai, je ne peux rien m’expliquer ; mais j’ai confiance en Lucien et cela me suffit.

L’entretien fut interrompu par un gardien qui s’approcha et dit :

— Mademoiselle, je suis peiné de mettre fin à cette entrevue. L’avocat du prisonnier vient d’arriver pour avoir avec lui un entretien. Si vous voulez me suivre, je vais vous reconduire.

Le père et la fille échangèrent vivement quelques paroles d’adieu et d’espoir, puis Ethel Conrad se retira.