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LA PETITE CANADIENNE

en reconnaissant le policier :

— Ah ! enchanté de vous voir ! M’apportez-vous quelque chose de neuf ?

Avec un sourire bienveillant il indique un siège au visiteur.

L’agent s’incline avec respect, accepte le siège indiqué et répond :

— Je connais à présent votre Peter Parsons !

— Ah ! ah !

— Il part pour Montréal ce soir.

— Bon, nous ferons route ensemble. Comment savez-vous la chose ?

— Voici. Hier soir, me trouvant tout à fait désœuvré, j’allai boire un verre de bière au Welland. Au bar, j’aperçus un individu qui représentait en tous points le signalement que vous m’aviez donné. Et cet individu, avec sa barbe noire touffue et inculte, attira fortement mon attention. Je l’examinai attentivement, et je me dis : Si c’était là Monsieur Parsons !… Voulant en avoir le cœur net, je décidai de ne le pas perdre de vue. Comme il logeait au Welland, je couchai au Welland. Ce matin, je retrouvai mon homme et m’attachai à ses pas. Vers dix heures il pénétra dans un bureau de télégraphe, et à un des pupitres vacants se mit en train de rédiger un télégramme. Sans faire mine de rien je m’approchai, et à l’extrémité du même pupitre je me mis à rédiger aussi une dépêche. L’homme me jeta un regard défiant, mais tout de même, voyant que je ne faisais pas attention à lui, il se remit à sa besogne. Or, voici la dépêche que je pus saisir du coin de l’œil, je l’ai transcrite sur ce papier.

L’agent, tendit un papier à Benjamin qui y lut la dépêche suivante :


Monsieur Grossmann rue Saint-Antoine.

Montréal.
Tout va bien… Pars pour Montréal ce soir… Rendez-vous rue Dorchester demain soir sans faute.
Parsons

— Bon, fit Benjamin avec un sourire satisfait.

— Vous voyez d’ici, reprit l’agent, l’effet que ce nom de Parsons fit sur moi.

Benjamin garda le silence et parut s’absorber dans ses pensées.

Au bout de quelques minutes il releva le front pour demander :

— Pensez-vous que Parsons ait quelque doute au sujet de votre personnalité ?

— Je ne crois pas. Nous sommes tout à fait étrangers l’un à l’autre.

— Oui, mais il vous a vu aujourd’hui au télégraphe.

— Il ne m’a jeté qu’un regard rapide et indifférent.

— Ainsi donc, s’il vous rencontrait d’ici quelques jours à Montréal, par exemple, pensez-vous qu’il reconnaîtrait l’homme à qui il a aujourd’hui, dans un bureau de télégraphe, jeté un rapide regard.

— Je ne pense pas, à moins que cet homme soit si bien doué qu’il puisse, dans un simple coup d’œil, graver dans sa mémoire une physionomie d’homme.

— C’est peu probable.

— Je pourrais cependant me déguiser de quelque façon.

— Mauvais moyen, interrompit brusquement Benjamin. Un déguisement est toujours reconnu, et dans l’affaire que je médite, un déguisement, fût-il seulement soupçonné, exciterait la défiance et nous exposerait à manquer l’affaire. Donc, pas de déguisement.

— Eh bien, alors ?

— Voici l’idée qui m’est venue à l’esprit. Depuis quelques jours j’ai la presque certitude que le modèle du Chasse-Torpille est aux mains de ces deux gredins que sont Parsons et Grossmann. J’ai donc songé à vous confier un rôle important.

L’agent s’inclina.

— Demain soir, poursuivit Benjamin, nous serons à Montréal, et vous vous rendrez rue Dorchester en cette maison inhabitée dont je vous ai déjà parlé. Vous y trouverez les deux bandits. Vous façonnerez une histoire pour expliquer votre présence, et vous leur proposerez d’acheter le modèle à telle somme d’argent, raisonnable. Comme garantie de votre bonne foi et pour leur inspirer confiance, vous leur verserez immédiatement une somme de cinq cents dollars. Naturellement, ils vont s’empresser de vous faire un prix fixe. Vous aurez l’air de marchander, puis vous finirez par accepter la transaction en déclarant que vous viendrez à tel soir et à telle heure avec la somme nécessaire prendre livraison du modèle. Vous demanderez un délai de trois ou quatre jours pour vous permettre de réaliser cet argent, ce qui nous permettra de prendre toutes nos dispositions.

— Bon, je comprends, dit l’agent.

Quant au reste, je m’en chargerai. Dès demain matin, une fois que nous serons rendus à Montréal, je vous remettrai la somme de cinq cents dollars dont vous aurez besoin pour amorcer l’affaire.

— Très bien. Je tâcherai de faire en sorte que vous soyez content de mes services. N’avez-vous pas des instructions spéciales pour aujourd’hui ?

— Non. Vous pouvez prendre congé. Nous nous retrouverons ce soir à la gare.

Et Benjamin fit un geste pour congédier son homme. Mais lui ne bougea pas, il paraissait tourmenté par quelque chose qu’il n’osait dire.

— Avez-vous encore quelque chose à me confier ? demanda Benjamin avec surprise.

— Oui… Mais je redoute que la nouvelle que j’ai à vous apprendre…

— Est-ce une nouvelle qui me concerne ?

— Directement, oui.

— Oh ! allez, je n’ai pas peur.

— Dunton a pris des mesures pour vous faire arrêter à votre arrivée à Montréal.

— Ah bah ! se mit à rire Benjamin.

— Et c’est moi-même qui suis chargé de vous surveiller et de vous désigner aux agents qui se trouveront à l’arrivée du convoi.

— Bon. Ces agents ou Dunton savent-ils au moins à quelle gare je descendrai ?

— J’ai ordre de les prévenir.

— Très bien, sourit plus largement Benjamin. À présent, mon ami, je présume que vous voulez