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LA PETITE CANADIENNE

— Il faut nous en assurer. Et puis, il pourrait bien passer des voleurs !

— Tu as raison, fouillons-les !

Les deux individus promenèrent un regard circulaire sur les lieux, puis, ne voyant personne dans les alentours immédiats, se jetèrent sur les deux dormeurs.

Mais au même instant un pas lourd et sonore résonna. Les deux inconnus se dressèrent à demi pour inspecter la rue. Pas bien loin de là se profilait la silhouette d’un policeman, et ce policeman venait vers le Metropolitan Apartments.

— Canaille !… gronda l’un des inconnus avec un geste de colère à l’adresse du policeman,

— Oui, c’est le voleur qui s’en vient ! ricana l’autre.

Circulons…

Et jugeant qu’ils n’auraient pas le temps d’accomplir leur « charitable besogne », les deux sacripants décampèrent, se glissèrent le long des maisons et se perdirent bientôt dans la nuit.


XI

LA REVANCHE DE MISS JANE


— Dites-moi donc, cher maître de mon cœur, comment vous trouvez, ce matin, notre nouveau logis ?

— Je le trouve un peu froid… je grelotte. Maître Tonnerre. Il est aussi quelque peu étroit…

— Et sombre… ne trouvez-vous pas ?

— Ça se comprend : pas la moindre fenêtre pour nous montrer le jour !

— C’est vrai, aucune fenêtre à notre singulier logis. Mais, par contre, cette jolie porte faite de bonnes et solide tiges de fer nous garantit de tout attentat contre notre gousset.

— Je crois, en effet, que nous sommes ici en sûreté.

— Et avec tout le confort d’un appartement dégarni.

— Heureusement que les bonnes gens qui ont effectué le déménagement du mobilier ont eu la noble et charitable inspiration d’oublier ce matelas.

— Oui, heureusement, car, sans ce matelas, nous aurions à coup sûr les côtes en marmelade.

— Ah ! ça, dites donc, Maître Tonnerre : jadis il me semble avoir vu quelque part et habité un appartement ayant quelque curieuse analogie avec ce logement.

— Il vous semble très justement et très véridiquement. Une fois, à Dawson City, que nous bûmes sans défiance d’une certaine liqueur très malfaisante — liqueur qui nous fit perdre nos deux équilibres, — deux braves policemen nous tendirent les bras et nous offrirent l’hospitalité. Vous en souvenez-vous ?

— Oui. Nous nous gardâmes bien, étant gens de bonne éducation, de refuser cette honnête hospitalité. Alors, selon votre souvenir, ce logis ?…

— Selon mon souvenir et le vôtre, cher Maître, il faudrait croire que le présent logis a, pour une seconde fois en notre vie, été mis à notre disposition par cette bienveillante et hospitalière hôtesse qu’est la police.

— Si tel est le cas. Maître Tonnerre, nous tâcherons de nous souvenir que nous sommes aussi gens de haute gratitude, et nous reconnaîtrons que notre digne hôtesse a droit à tous nos remerciements et à notre dévouement.

— Pour ma part, je promets en son nom un beau cierge à saint Tonnerre, mon patron.

— Et moi, une chandelle toute neuve à saint Alpaca. Prenez ça en bonne note, Maître Tonnerre.

Un cliquetis de clefs, une porte ouverte et refermée avec grand bruit de ferraille et un pas dur interrompirent brusquement cet entretien.

Un individu, dans l’uniforme des porte-clefs, apparut dans la pièce adjacente. À travers les tiges de fer de la grille les deux amis virent cet homme. Il portait sous un bras une petite boite de fer-blanc qu’il posa précieusement sur une table. De la boîte il tira deux tranches de pain de couleur douteuse, puis il s’approcha de la grille.

Il s’arrêta, pencha la tête en avant et dans la clarté incertaine qui régnait dans la cellule il jeta un regard moqueur. Car, là il vit deux ombres humaines assises côte à côte sur un méchant matelas gisant sur les dalles. Un moment, il considéra les deux ombres silencieuses. Puis il dit sur un ton railleur :

— Je suppose, mes bons amis, que vous ne dédaignerez pas un petit déjeuner ?

— Que non, répliqua Tonnerre avec un accent non moins railleur. Nous étions bien sûrs que votre très aimable hospitalité ne se bornerait pas uniquement à la couchée.

— Nous savions aussi, cher monsieur, dit Alpaca à son tour d’une voix très narquoise, que vous ne pouviez avoir l’impolitesse de venir nous souhaiter le bonjour sans nous offrir quelque chose à votre table. Nous vous remercions à l’avance.

Le porte-clefs ricana.

— Merci, répondit-il, de la bonne opinion que vous avez des gens de la maison. Voici donc votre déjeuner à tous deux… vous m’en direz des nouvelles !

Et ce disant, il passa son bras entre les barreaux de la porte de fer, lança un morceau de pain à Tonnerre, puis un autre à Alpaca.

— Merci bien, cher ami, dit Tonnerre, de cet excellent petit déjeuner.

— Vous allez nous gâter, fit Alpaca.

— Il nous prend pour des princes ! gouailla Tonnerre.

— Tous les honneurs ! sourit Alpaca.

— Un véritable festin ! exclama Tonnerre. Et il partit d’un rire aigre.

— Surtout, fit observer le porte-clefs, n’allez pas manger trop et crever d’indigestion !

— Soyez tranquille, cher Monsieur, rétorqua Tonnerre, nous ne sommes pas sujets aux indigestions à pareille table. Mais si, par hasard, il arrivait que nous crevassions de ce mal contre lequel vous voulez bien nous mettre en garde, nous et notre gourmandise, je souhaite pour vous la crevaison par la faim !

Un rire moqueur répondit à ces paroles de