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LA PETITE CANADIENNE

La brave femme s’étonna fort. Elle tourna et retourna le message et le tourna encore sans pouvoir se décider à briser l’enveloppe et prendre connaissance de son contenu.

Enfin, comme pour obéir à certaines instructions, elle alla au téléphone et demanda à parler à l’avocat Montjoie. Elle fit part à ce dernier du message apporté chez elle.

— Si vous voulez attendre dix minutes, dit l’avocat, je vais me rendre chez vous.

Peu après, en effet, Montjoie arrivait chez la veuve et se faisait remettre la dépêche adressée à Benjamin.

— Voyons ! dit-il en brisant l’enveloppe d’une main nerveuse.

Voici ce qu’il lut, non sans une extrême surprise :

« Apportez immédiatement ou envoyez par expresse modèle. Très pressant. »…

Et cela venait de New York et de Pierre Lebon.

— Ce qu’il y a de plus curieux, commenta Montjoie, après avoir communiqué la dépêche à Mme Fafard, c’est que Pierre adresse ce télégramme à Benjamin, et que tous deux doivent être réunis en ce moment là-bas. Je n’y comprends rien.

— C’est assez étrange, admit Mme Fafard.

— N’est-ce pas ? Cependant la dépêche est claire, et je ne vois qu’une chose à faire : envoyer le modèle. Car il faut croire que Benjamin n’est pas encore rendu à New York, et qu’il a dû s’arrêter en chemin quelque part. Pour quelle raison ? Je me le demande. Mais Pierre le croit encore à Montréal, et il lui demande le modèle. Quelle est votre idée, Madame Fafard ?

— Dame ! je ne sais pas. Je pense pas mal comme vous, qu’il faut envoyer le modèle.

— Oui, dit l’avocat, nous ne pouvons faire autre chose. Vous avez ce modèle sous la main ?

— Il est dans le garde-robe de ma chambre à coucher.

— Bien. Allez le chercher, tandis que je vais appeler par téléphone une voiture des messageries.

Mme Fafard gagna aussitôt sa chambre à coucher. L’avocat alla à l’appareil du téléphone, Mais à l’instant même la sonnerie de la porte vibra.

Montjoie courut ouvrir.

Il se trouva devant un individu à forte barbe rousse, au visage laid, hideux, repoussant. Mais cet homme était coiffé d’une casquette bleue dont la visière était décorée de ces deux mots anglais : Express Man.

En même temps l’homme présentait un petit paquet bien enveloppé, bien scellé de cire rouge et bien ficelé à l’adresse de Mme Fafard.

— Vous arrivez bien, dit Montjoie, j’ai précisément un paquet à expédier.

— Très bien ! répondit seulement l’homme.

À cette minute Mme Fafard apportait la valise contenant le modèle. À la vue de cette valise, l’homme ne put réprimer un léger tressaillement.

Mais aussitôt il tendit le paquet à la veuve, lui fit signer le livre de livraison, puis il inscrivit dans ce même livre la valise consignée à Pierre Lebon à New York, donna à l’avocat un récépissé, prit la valise et s’en alla.

Dehors, il monta dans une de ces légères voitures de livraison au service des messageries, et lança son cheval au galop vers la rue Dorchester dans laquelle il s’engouffra. Il arrêta cheval et voiture à l’encoignure d’une ruelle déserte à ce moment, il sauta à bas de la voiture, et avec sa précieuse valise s’élança dans la ruelle à toute course. Un peu plus loin, il s’arrêta près d’un hangar, jeta sa casquette loin de lui, tira d’une poche de son vêtement un feutre gris, s’en coiffa et reprit son chemin tout en grommelant dans un demi-rire moqueur :

— Que le conducteur de cet attelage se débrouille, et qu’il le retrouve ou non, pour moi, je m’en fiche !

Et l’homme prit bientôt la rue Vitré et disparut.

Et cet homme, comme on l’a deviné, était Grossmann.

Quant au paquet livré à Mme Fafard. — et Grossmann, cette fois, mérite quelque crédit. — oui, ce paquet était une superbe boite de chocolats !…


VIII

OÙ LE CAPITAINE RUTTEN ARRIVA TROP TARD


On se rappelle comment le capitaine Rutten. au sortir de son ivresse à l’Hôtel Welland, s’était aperçu de la disparition des plans du Chasse-Torpille en constatant que sa veste avait été coupée, et comment, fou de rage, il était accouru chez Miss Jane pour l’informer du malheur. Et là, on se rappelle encore, qu’il avait été décidé que Rutten se mettrait immédiatement en route pour Montréal, dans le dessein de s’emparer du modèle Chasse-Torpille de Pierre Lebon.

Rutten était donc parti, comme l’avaient constaté Alpaca et Tonnerre, et à son arrivée à Montréal il avait pris logement dans une petite hôtellerie avoisinant la gare Bonaventure.

Il n’avait encore arrêté aucun plan d’action. Avant de tenter l’entreprise hasardeuse qu’il méditait, il voulait reconnaître les lieux et s’en familiariser, après quoi il aviserait.

Une chose qui ne sortait pas de son esprit, c’est qu’il fallait agir rapidement : car la moindre hésitation, le plus petit retard pouvaient entraîner la perte des chances qu’il pourrait avoir.

Aussi, dès le milieu de la matinée, Rutten prit-il le chemin de la rue Saint-Denis.

À midi, il était de retour à son hôtel.

À deux heures, il repartait pour la rue Saint-Denis : maintenant son plan d’action était tout tracé.

Il s’arrêta devant le logis de Mme Fafard et se mit à lire l’affiche suivante :


Pension privée
Chambres garnies à louer


Et Rutten, comme s’il eût en effet cherché une pension, mais aussi, comme s’il eût hésité