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Comme toi, bel esprit, au sortir du collège,
Ma sotte vanité saisit le privilège
Qu’usurpent trop souvent les auteurs de nos jours,
De parler sans rien dire et de parler toujours.
Amoureux de la gloire, et surtout de moi-même,
Traînant à mes côtés l’ennui d’un beau poème,
Je quêtais à la ronde un sourire flatteur ;
Copiste ingénieux, adroit compilateur,
J’enfilais de grands mots bien durs et bien sonores ;
Je parlais de soleils, d’étoiles et d’aurores,
J’imitai ***, et mon style éclatant
Fit bâiller tout le monde…, excepté moi pourtant.
Je dédaignai bientôt la robe paternelle ;
Brûlant de conquérir une palme immortelle,
Je m’élance au théâtre où l’orgueil me promet
Une place éminente à côté de Soumet.
Je pense voir déjà mon talent poétique
S’élever radieux au trône académique ;
Je triomphe en espoir, je rêve… mais bientôt
Vingt sifflets goguenards m’éveillent en sursaut :
L’infortune souvent est bonne à quelque chose ;
Abjurant et la gloire et les vers et la prose,
Depuis ce triste instant, j’ai su borner mes vœux
À vivre loin du Pinde, ignoré, mais heureux.
Que mon exemple au moins t’apprenne à fuir l’orage,
Ou, sur les mêmes flots, crains le même naufrage.
Combien d’autres malheurs je pourrais te citer !
Les bâtards de Schlegel ont beau ressusciter ;
Les Marivaux du jour, que l’intérêt assemble,