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L’ŒUVRE IGNORÉE DE L.-P. MOUILLARD

que Louis Camoin s’était mis à gérer seul, son frère s’attardant à Cannes dans la plantation des orangers. C’était l’année du bombardement d’Alexandrie, qui valut une indemnité de sept cent mille francs à MM. Camoin pour dégâts commis à leur dépôt dans cette ville.

Mouillard était loin d’être un employé modèle, il ne pouvait s’astreindre à aucun travail régulier, et annotait ses livres de caisse de figures d’oiseaux et de dessins d’aéroplane. Son voyage en France lui a mis en tête mille idées nouvelles, et la publication de son ouvrage a excité à nouveau son courage. Jusqu’à son bureau, sur les prospectus de la maison Camoin, il donne corps à toutes les pensées qui jaillisent de son cerveau. Il commence à couvrir les feuillets dont l’ensemble constituera le manuscrit du Vol sans battement.

Il dut accepter avec indifférence qu’à cette époque on lui retirât son emploi. « C’était, me disait M. Edmond Camoin, un homme simple, qui vivait de rien, se faisait petit et ne savait pas demander. »

Qu’importe la pauvreté à celui qui n’a d’autre ambition que de voir au soleil levant s’élever un vol majestueux de vautours !

Et pourtant le sort commence à se montrer implacable. Au moment où Mouillard perd son gagne-pain, sa femme est atteinte d’une grave maladie de foie. Il faut abandonner jusqu’à la petite boutique de mercerie. On renvoie à Lyon les marchandises que le beau-frère de Mouillard avait prêtées, et les deux malades pour lesquels la vie se montre si dure, s’isolent, semblent chercher à faire oublier leurs propres peines. Elle, souffre en silence, toujours douce, digne et réservée ; lui, s’obstine à vouloir imaginer dans les rayons du matin l’évolution de l’homme parmi celles des oi-