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L’ŒUVRE IGNORÉE DE L.-P. MOUILLARD

Cinq fois par semaine, il a à faire quatre kilomètres en plein désert pour atteindre les écoles militaires où il professe. Au retour, dans l’heure de midi, regagnant la ville dans la lumière aveuglante « qui danse sur le sable comme le feu d’un haut-fourneau » il s’attarde encore sur la route ardente pour aller déranger les vautours posés dans le désert, attroupés autour d’un squelette qu’ils ont proprement nettoyé, et digérant béatement.

Mouillard s’oublie longuement à contempler son maître, l’admirable voilier qui lui enseigne le vol sans battement. Il l’observe planant vers la ville où l’attirent les animaux morts, que la voirie fait déposer au milieu des débris de poteries, près de la porte de l’Abbasieh.

C’est l’époque où, suivant cette course de vautours dans les airs, Mouillard voit son rêve même s’inscrire en plein ciel.

« Ce vol comme perfection d’effets produits, et tous effets utiles à l’homme, toutes manœuvres qu’il désire pouvoir exécuter, ce vol, dis-je, est si beau qu’il pétrifie, qu’il stupéfie. Chaque fois qu’on le voit, on se morigène de n’avoir pas encore essayé de le reproduire.

« C’est si simple ! c’est tellement ce qu’on demande qu’on ne désire rien au-delà ; on se contente de cette simple et grande allure et on n’en veut pas d’autre.

« Puis cela semble si aisé à imiter. Ce n’est pas de la station dans l’air de tempête comme l’oiseau de mer ; non ce n’est pas aussi difficile que cela, c’est l’énorme oiseau, lourd comme un mouton, qui se coule doucement mollement et sans efforts sur une légère brise ; c’est la course en droite ligne ou ces orbes immenses et sans fin dont le résultat est l’ascension si haute qu’on perd l’oiseau de vue, enfin ce sont tous nos désirs exécutés… »