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tête et voulant m’aider de l’autre main, j’y fus mordu sur le pouce, au-dessus de l’articulation des deux dernières phalanges.

Ces piqûres furent si promptes que je les sentis à peine, car les crochets, fins et acérés comme des pointes d’aiguille, ne restèrent pas l’espace d’une seconde dans les petites ouvertures de la peau, très mince en cet endroit. L’une de ces piqûres ne fut même pas indiquée par le moindre atome de sang coloré. Saisissant à l’instant même la tête du serpent en arrière, je la repoussai en avant afin de décrocher les dents venimeuses, et j’essayai, mais inutilement, de briser la colonne vertébrale en étendant le tronc avec force sur la longueur et en sens opposé, le derrière de la tête étant retenu de la main gauche. Ne pouvant parvenir à rompre ainsi l’échine, je me servis de la main droite pour aller prendre dans mon gousset une paire de ciseaux qui s’ouvrent à ressort. Je m’empressai d’en introduire la pointe dans le gosier du serpent dont la bouche restait béante parce que les mâchoires étaient aussi repoussées par derrière. Je pus alors séparer les vertèbres en dedans et couper la moelle épinière en ménageant la peau du cou. Je jetai l’animal sur la terre, bien certain qu’il ne pourrait s’enfuir. Je m’occupai alors de sucer les piqûres de mes deux pouces ; mais les orifices étaient trop exigus pour qu’il on sortit le moindre liquide. J’aurais mieux fait de les inciser préalablement. Comme j’avais sur moi un cylindre d’azotate d’argent fondu, recouvert de cire à cacheter, je découvris un point de la surface de ce caustique, dit pierre infernale, pour l’appliquer successivement sur les trois indices de piqûres, et environ une minute après sur le quatrième du pouce droit que j’avais négligé d’abord ; mais y ayant remarqué un petit suintement sanguinolent, je crus devoir employer la pointe d’une lancette pour ouvrir plus largement la peau afin que l’action cautérisante du sel d’argent pût s’y exercer plus profondément. C’était, au reste, ce que j’aurais dû faire pour les trois autres piqûres, qui ne me faisaient éprouver aucune douleur ni sensation appréciable.

Le serpent recueilli pour être conservé, je continuai ma promenade pendant environ une heure et demie. Je m’apercevais à peine de ces petites blessures pendant la première demi-heure. Cependant je remarquai que le dessus du pouce gauche, le premier piqué, se gonflait insensiblement, mais sans douleur aucune.