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connaître une partie des faits de l’affaire Dreyfus et de l’affaire Esterhazy. Je dis, Messieurs, une partie des faits, car le colonel Picquart ne m’a jamais révélé aucun secret dans le sens que la langue militaire attache à ce mot.

Le colonel Picquart avait pu se persuader de l’innocence du capitaine Dreyfus, et il m’a indiqué, dans les conditions que je viens de dire, les faits qui avaient déterminé sa conviction. J’avais trop de confiance dans l’intelligence comme dans la loyauté de mon ami pour ne pas admettre la matérialité des faits qu’il me faisait connaître, et j’en tirai la même conclusion que lui.

Je fus profondément troublé parce que je venais d’apprendre, car si je déplorais la possibilité d’une erreur aussi grave, si je déplorais qu’un homme, qui réapparaissait comme innocent, continuât à subir un supplice immérité, j’étais en même temps troublé par le sentiment de l’agitation que de pareilles révélations pourraient jeter dans le pays, et je m’imposai dès lors la plus grande prudence.

Tout d’abord, je recueillis sur cette affaire tous les renseignements qu’il m’était possible de me procurer, je consultai certaines personnes qui avaient été au courant d’autres faits, précisant mon étude par la lecture des documents publiés en 1896. Je recueillis des renseignements sur la famille Dreyfus et sur le capitaine Dreyfus que je ne connaissais pas, et enfin j’étudiai les questions de droit que pouvait soulever cette affaire.

Au cours de ces diverses recherches, j’appris que M. Scheurer-Kestner, depuis un an déjà, s’occupait de l’affaire Dreyfus et qu’il avait réuni des renseignements d’un certain intérêt.

Vers le même temps, je rencontrai M. Scheurer-Kestner à un dîner de compatriotes ; il prit rendez-vous avec moi pour un des jours suivants.

Lorsque M. Scheurer-Kestner se fut aperçu que je possédais sur cette affaire des renseignements importants, il fit auprès de moi les instances les plus vives pour obtenir que je lui en disse davantage. Ses instances furent si pressantes, et il me laissa voir une anxiété si douloureuse, que je ne pus m’empêcher de l’éclairer plus complètement.

Le seul plan que j’eusse formé était de mettre le plus tôt possible le Gouvernement au courant de ce que je venais d’apprendre parle colonel Picquart.

M. Scheurer-Kestner. vice-président du Sénat, me paraissait le meilleur intermédiaire que je pusse trouver auprès du gouvernement. Pour toutes ces raisons, je crus devoir céder aux vives instances de M. Scheurer-Kestner, et je l’éclairai plus complètement sur cette affaire. Je lui parlai notamment des lettres que le général Gonse avait écrites au colonel Picquart. M. Scheurer-Kestner me supplia de lui montrer immédiatement ces lettres et se rendit chez moi pour les voir Il fut dès lors convaincu lui-même de l’innocence de Dreyfus. Il n’a jamais varié