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Le bordereau a donc été, non pas seulement écrit par le commandant Esterhazy, mais il a été pensé, rédigé par le commandant Esterhazy lui-même ; le texte est de lui. C’est le style du bordereau qui est du commandant Esterhazy, et c’est l’écriture par dessus le marché, qui est du commandant Esterhazy.

Me Labori. — M. Havet pourrait peut-être compléter son exposé sur ce point. Si j’ai bien compris M. Havet, il considère que le calque est impossible au point de vue de la rédaction. Pense-t-il de même au point de vue graphique ?

M. L. Havet. — Je ne pourrais pas en taire une démonstration précise ; je parle surtout ici des difficultés de raisonnement qu’on éprouverait à imaginer une situation où quelqu’un puisse faire un faux dans ces conditions. Comment est-il possible d’imaginer un homme qui, pour dissimuler sa personnalité, emprunte l’écriture d’autrui et qui se donne le mal prodigieux qu’il faudrait se donner pour calquer non pas des mots, mais des lettres, en prenant à chaque instant des modèles différents et en transportant son calque d’un mot sur un autre ?

Il y a, dans le bordereau, des mots qu’on n a pas tous les jours sous la main pour les calquer, par exemple le mot : Madagascar, le mot hydraulique ; on peut bien avoir sous la main un mot comme je, comme vous, mais on n’a pas sous la main, à point pour savoir où le trouver, le mot Madagascar ou le mot hydraulique, juste au moment où on en a besoin. Pour cela, il faudrait avoir toute une collection de documents énormes avec un répertoire pour y trouver le mot dont on a besoin. Il faudrait donc, pour exécuter par calque le bordereau, composer le mot Madagascar à l’aide du mot Ma, puis avec le commencement du mot dame, le commencement d’un troisième mot. Cela aurait coûté cinq ou six opérations différentes pour un mot unique.

Ge travail est absolument hors de proportion avec les besoins d’un faussaire qui travaille ainsi ; il serait beaucoup plus court de prendre tout autre moyen de falsification : une écriture dissimulée, des caractères d’impression, découpés, qu’on applique, qu’on colle, ou même, si on emprunte l’écriture d’autrui, le procédé plus simple de découper des portions d’écritures et de les coller au lieu de les décalquer.

C’est là une hypothèse qui n’est défendable que si on avait des raisons particulières de trouver qu’il y a un calque.

J’ajoute que je ne crois pas, pour ma part, à l’argument que j’ai vu traîner dans des journaux qui soutenaient que le bordereau était de Dreyfus et non pas d’Esterhazy ; il prétendaient qu’il y a des portions de mots qui se répètent, parce qu’ils ont été calqués sur la même matrice, qu’il y a deux fois la même syllabe.

Quand nous retrouvons plusieurs fois la même syllabe, il n’y a jamais superposition absolue. Il y a des syllabes qui se répètent un grand nombre de fois ; par exemple, dans le met quelque, il y a deux fois la syllabe que, et cette syllabe revient