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viction entière, sans aucune réserve, que ce n’est pas l'écriture du capitaine Dreyfus, et que c’est l’écriture du commandant Esterhazy. Pour moi, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, à aucun degré.

J’arrive au second point : les habitudes orthographiques de l’auteur du bordereau.

En pareille matière, on ne peut pas dire, avec une absolue certitude, d’après les habitudes orthographiques, que cette pièce est de telle personne déterminée, parce que deux personnes différentes peuvent avoir en gros les mêmes habitudes orthographiques ; mais il y a quelque chose qu’on peut dire très sérieusement. Sans arriver à cette précision, on peut dire : « Telle pièce n’est pas de telle personne, parce que ses habitudes orthographiques sont différentes » ; ou bien : « Telle pièce peut être de telle personne, s’il y a d’ailleurs d’autres raisons de la lui attribuer, parce que les habitudes orthographiques sont les mêmes. »

Eh bien ! voici les habitudes orthographiques du capitaine Dreyfus et du commandant Esterhazy dans leurs lettres. Tous deux mettent bien l’orthographe, ils ne se trompent pas pour les s du pluriel ou pour des choses de ce genre. Je parle ici des petites minuties orthographiques, des accents, des cédilles. Le capitaine Dreyfus n’est pas très grammairien, il n’est pas grammairien dans l’âme et il lui arrive d’oublier une cédille là ou il en faut, d’écrire français ou façon en oubliant la cédille, ou de mettre une cédille là où il n’en faut pas, de mettre force, souffrance avec une cédille ; cela est chez lui capricieux. Le même mot, innocent, est écrit tantôt avec une cédille tantôt sans cédille.

Pour les accents, c’est la même chose ; s’il écrit la préposition à, le mot à doit avoir un accent grave d’après les habitudes correctes de typographie et d’écriture ; eh bien ! Dreyfus met de temps en temps cet accent grave et d’autres fois il ne le met pas. Il arrive aussi qu’il met des accents inutiles ; il y a des accents qui manquent dans les fac-similés accessibles au public, et, dans une des lettres dont j’ai eu l’original entre les mains, j’ai vu, au contraire, des accents inutiles sur des lettres qui n’en comportent pas : le mot nécessaire qui s’écrit avec un accent aigu sur la première voyelle, est écrit avec un accent sur les deux e. Le capitaine Dreyfus n’a donc pas l’attention orthographique très précise et très éveillée.

Pour Esterhazy, c’est tout le contraire, il met scrupuleusement les accents ; il met scrupuleusement les traits d’union, tous ces petits accessoires de l’orthographe. C’est un homme qui sait bien la minutie orthographique et qui la pratique. Il y a un détail curieux qui mérite d’être rappelé à ce propos, c'est qu’il met l’accent grave sur la préposition à, non seulement quand c’est un à minuscule, à l’intérieur d’une phrase, mais même quand c’est un A majuscule au commencement d'une phrase.