Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/538

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encore cette chose étrange : qu’il est dit qu’une pièce secrète a été volée au ministère de la guerre, qu’elle a passé par les mains dune dame voilée, au Sacré-Cœur, qu’elle revient dans les mains de M. Esterhazy, et M. Ravary ne s’en étonne pas ! Il semble trouver la chose toute naturelle, et, tout naturel que cette pièce secrète, que le ministère de la guerre a refusé de communiquer au probe et loyal M. Scheurer-Kestner, ce soient des dames voilées qui la promènent!!!

Voila, Messieurs, une des causes de ma conviction ! Il en est d'autres encore. La singulière façon dont les débats ont été menés ; ce président, quand il voit l’accusé embarrassé, lui soufflant ses réponses, et, enfin, cette contradiction des experts ! Les experts, en effet, dans ce procès, ont déclaré que la pièce n'avait pas été écrite par M. Esterhazy ; mais ils ont déclaré qu'elle était de son écriture, en contradiction avec les premiers experts qui avaient déclaré qu’elle était de l’écriture de Dreyfus C'est ainsi que les premiers experts se sont grossièrement trompés et qu'ils ont trompé, avec eux, sept officiers, les sept juges qui dans la loyauté de leur âme, ont condamné Dreyfus On vient dire encore que cette pièce est un décalque de l’écriture Esterhazy, et M. Ravary trouve cela tout naturel, et il ne cherche pas qui a pu faire ce décalque ! On arrive à ce singulier raisonnement : C’est Dreyfus qui a fait ce décalque, parce qu'il est un traître, et la preuve qu’il est un traître, c’est qu’il n'a pas fait de décalque et qu’il a fait le bordereau.

Je ne veux pas, Messieurs, abuser de votre patience, mais je dois vous dire que j’ai fait ma conviction inébranlable, malgré les menaces déguisées, et les procédés d’intimidation. Pour nous tous, pour tous ceux qui ont signé avec moi, la revision du procès Dreyfus s’impose. Nous voulons la lumière, toute la lumière, encore plus de lumière !

M. le Président. — Maître Labori, avez-vous encore une question a poser ?

Me Labori. — M. Grimaux vient de parler de menaces et de procèdes d'intimidation ; je lui serais reconnaissant de vouloir bien nous faire connaître lesquels.

M. Ed. Grimaux. — Si Me Labori pense que cela puisse être nécessaire a la défense...

Me Labori. — Je pense que c’est indispensable, monsieur Grimaux, et je vous prie d’achever le grand acte de courage que vous accomplissez, en disant la vérité tout entière.

M. Ed. Grimaux. — J’ai juré de dire la vérité tout entière ; je ne puis me refuser à répondre à la demande de la défense Je dirai tout.

Le 16 janvier, le ministère de la guerre me fit demander officiellement si c’était bien moi qui avais signé la protestation dont j'ai parlé tout à l’heure. Immédiatement, j’écrivis une lettre dans laquelle je disais : « Voici la protestation que j’ai signée, en voici le texte ; je l’ai signée, je le reconnais. » Il parait que, le lendemain, au Conseil des Ministres, un décret