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un homme du Midi, il s’est monté lui même et enfin il s’est dit : « Si je disais ceci ou cela, je produirais mon petit effet ! » et il a déposé. Mais je crois que j’ai prouvé que ce monsieur a dit une contre-vérité.

M. Teyssonnières prétend qu’à un moment donné, j’ai été d’accord avec lui. Eh bien ! j’ai livré mon rapport le 12 août ; à cette date, je n’avais pas connaissance de celui de M. Teyssonnières, je l’ignorais complètement ; j’ignorais aussi qu'il eût le dossier du Conseil de guerre. Jusqu’au 24 juillet, je n’avais pas fait mon rapport d’expertise. J’ai réfléchi longuement avant de m’y mettre. C’était une chose grave évidemment ; cette affaire me préoccupait beaucoup. Mais, comme j’avais eu un préjugé que tout le monde avait… Il y a dans cette salle certainement des personnes qui croient à l’innocence de Dreyfus, eh bien ! je fais appel à ces personnes pour leur dire : « N’avez-vous pas changé d’opinion ? » Eh bien ! moi aussi, j’ai changé d’opinion, parce que tout le monde en a changé. Au lendemain de la condamnation, on aurait pu compter sur les dix doigts les noms des personnes qui ne pensaient pas que le Conseil de guerre avait bien jugé. Puis, le doute est venu à l’esprit de chacun, surtout au mien quand j’ai pu comparer le bordereau…

M. le Président. — Nous n’avons pas à nous occuper de l’affaire Dreyfus.

M. Crépieux-Jamin. — Oui, mais M. Teyssonnières a dit que j’avais été d’accord avec son rapport, et ce rapport, je ne le connaissais pas.

M. le Président. — Parlez-nous de la lettre que vous lui avez écrite, et qui commençait par ces mots : « Bravo, bravissimo ?…»

M. Crépieux-Jamin. — Elle a été écrite au lendemain de l'interpellation Castelin ; elle n’a aucun rapport avec mon rapport ni avec l’affaire Dreyfus.

Me Labori. — M. Crépieux-Jamin pourrait-il nous dire s’il est de famille israélite ?

M. Crépieux-Jamin. — Je suis de famille catholique et de vieille famille française.

Me Labori. — Ne pourrait-il pas dire ensuite s’il n'a pas refusé de déposer comme expert dans ce procès ?

M. Crépieux-Jamin. — Ceci est une preuve de ma droiture et de mon indépendance. Si la famille Dreyfus avait eu en moi un agent, si elle avait payé mon dévouement, je n’aurais pas pu refuser une chose pareille. Quand on a été payé par quelqu’un, on est entraîné malgré soi, on est dans un engrenage fatal. Je n’étais pas dans un engrenage ; j’étais un homme qui avait quelques connaissances dans une partie spéciale. Quand on est venu me parler de l’affaire, j’ai dit : « Je vous remercie, cette affaire n’est pas drôle ; je suis médecin-dentiste, je ne suis pas expert en écritures. » Si j’avais été l’agent de la famille Dreyfus, je n’aurais pas pu agir comme je l’ai fait, en homme libre et indépendant.