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Et si vous reprenez la série des faits dont je vous ai donné lecture, ne s’enchaînent-ils pas l’un à l’autre par un lien d'une étroitesse absolue ? Comment voulez-vous que nous arrivions à la démonstration de la dernière partie de notre argumentation, si nous ne commençons par la démonstration du commencement ? Comment voulez-vous que nous démontrions par suite de quelles circonstances, par quel enchaînement, une illégalité a dû être commise devant le premier Conseil de guerre de 1894, si on ne nous permet en même temps d’établir la raison pourquoi on a été amené à cette illégalité, à savoir qu'il n'existait dans l’affaire aucune charge qu’on pût avouer publiquement ?

Et ce n’est pas là de la connexité ? Ce n’est pas de l’indivisibilité ?

J’aurais pu produire de la jurisprudence sur ce point ; mais puisque M. l’Avocat général n’a discuté qu’en fait, je ferai comme lui.

Il est de règle constante qu’en dehors des faits cités et articulés dans la citation, la preuve est permise des faits qui se rattachent aux premiers par des liens de connexité et d'indivisibilité.

Je vous ai montré que les faits accessoires dont nous offrons de faire la preuve sont étroitement liés avec les faits principaux dont nous avons le droit de faire la preuve.

Il me reste seulement à répondre un mot à une dernière objection de M. l’Avocat général : l’objection tirée de la chose jugée.

La chose jugée ? qu’en restera-t-il, Messieurs, si nous réussissons à établir qu’elle a été irrégulièrement, illégalement jugée, cette chose dans laquelle l’opinion publique a une telle foi qu’elle considère comme des malfaiteurs publics ceux qui songent une seconde à la mettre en doute, quand cependant ils ont dit qu’ils offraient de faire la preuve de l'erreur ? Cette chose jugée, les citoyens la respectent ; ils ont le droit et le devoir de la respecter, mais seulement, encore une fois, parce qu’ils la croient régulièrement et légalement jugée. La où il n’y a plus de droit, là où il n’y a plus de légalité, là oui il n'y a plus de justice, il n’y a plus de chose jugée, Monsieur l'Avocat général, et ne parlons plus d’exception !

Me Clémenceau. — Je voudrais quant à moi faire seulement une observation qui consistera à mettre en lumière deux des points sur lesquels s’est expliqué M. l’Avocat général. Je veux seulement dire ceci :

M. l’Avocat général nous a indiqué qu’il avait les mains liées par le Ministre de la guerre, qu’il ne pouvait élargir le débat et que le débat se présentait ici tel que l’avait voulu M. le Ministre de la guerre. Nous nous en doutions, mais je crois qu'il est intéressant pour MM. les jurés de savoir que s’il avait voulu un débat général, M. le Ministre de la guerre aurait peut-être pu faire comme tous les citoyens français lorsqu'ils se croient lésés : porter une plainte entre les mains de M. le Procureur