Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/48

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pour le même crime de trahison pour lequel avait été poursuivi l’ex-capitaine Dreyfus. La pièce capitale du procès, c’était, avec d’autres — nous nous en expliquerons quand le moment sera venu — c’était le bordereau, le bordereau sur lequel, dans le second procès, les experts ont déposé. — Et je comprends que les experts de l’un et de l’autre procès n’éprouvent pas autrement le désir de se rencontrer contradictoirement à la barre, dans un débat où la lumière serait complète. Quelques-uns d’entre eux nous ont poursuivis devant la police correctionnelle : nous les retrouvons ici, nous a dit tout à l’heure très courtoisement M. le Président ; leurs honorables avocats sont à la barre ; tant mieux ! car j’imagine qu’ils vont aussi venir s’expliquer devant la Cour d’assises et qu’alors M. Zola, qui n’en est cependant pas à un procès près, verra se produire le 16 février prochain, devant le Tribunal correctionnel, un pur et simple désistement de leur part ; car autrement je ne comprendrais pas ce que les experts viennent faire ici.

Ce qui est certain, c’est que la pièce qui a été mise au débat et qui a fait l’objet de la discussion dans le procès Esterhazy et dans le procès Dreyfus, c’est le bordereau. Les deux crimes étaient les mêmes. M. Mathieu Dreyfus avait dénoncé M. le commandant Esterhazy ; si M le commandant Esterhazy avait été condamné, la revision du jugement qui avait condamné le capitaine Dreyfus était nécessaire. M. le commandant Esterhazy a été acquitté ; la question reste ouverte, et nous nous en expliquerons.

Mais, dès le seuil du débat, il est constant que les deux procès étaient les mêmes. Alors, Messieurs, la question se pose en dilemme : ou bien on nous empêchera de faire aucune preuve et nous verrons… ou bien, au contraire, il faudra qu’on nous permette d’examiner la situation de l’ex-capitaine Dreyfus, en même temps que celle de M. le commandant Esterhazy, puisque l’une et l’autre sont étroitement liées et qu’il ne nous serait pas possible de faire ici la preuve de la culpabilité de M. le commandant Esterhazy et de l’acquittement par ordre dont il a été l’objet, si nous n’avions pas le droit de faire en même temps la preuve de l’innocence de l’ex-capitaine Dreyfus.

Sans compter que M. le Ministre de la guerre, ne s’apercevant peut-être pas d’un détail dangereux quand il rédigeait sa plainte, y a visé le passage où M. Zola dit que le second Conseil de guerre a couvert l’illégalité à laquelle s'était abandonné le premier. Or, comment démontrerions-nous qu’on a couvert une illégalité, si on ne nous laisse démontrer d’abord qu’une illégalité a été commise, à moins qu’on ne préfère par un arrêt de justice — j’avoue que cela me paraîtrait un préliminaire véritablement curieux à ce débat, — nous donner acte de ce que l’illégalité a été commise et de ce qu’elle est reconnue à la face de la France et du monde civilisé. Si cela n’est pas, il faudra bien, sur ce point comme sur les autres, qu'on nous permette la preuve.