Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/468

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dis pas à M. Teyssonnières, car enfin! il voulait me convaincre, mais je n’étais pas tenu de le convaincre. Je ne voulus pas discuter avec lui. Je gardai pour moi mes impressions, qui étaient vives et qui se sont confirmées plus tard par tout ce qui m’est venu ensuite.

M. Teysssonnières s’appuyait sur ce que le capitaine Dreyfus avait voulu qu’il y ait des dissemblances entre le bordereau et sa propre écriture. Je ne sais si tout ce que j’ai dit à cet égard dans ma première déposition, MM. les membres du jury l’ont très bien retenu; mais je suis beaucoup plus touché par des dissemblances qui ne pouvaient pas s’expliquer, que je ne fus frappé des quelques similitudes, des quelques points de contact qui pouvaient exister entre les écritures.

Voilà, Messieurs, comment ma conviction s’est faite sur ce premier point. Ce ne fut peut-être pas tout, et il est ici, puisque je dois toute la vérité à la justice, un détail qui a aussi son importance; je demandai à M. Teyssonnières : « Avez-vous été d’accord avec vos collègues de l’expertise sur tous ces points? On dit que deux experts ont été contre, que trois experts ont été pour. Cette majorité est-elle bien compacte, est-elle bien unie, est-ce par les mêmes raisons de décider qu’elle arrive à la même conclusion?» M. Teyssonnières me répondit : « Non, nos méthodes n’ont pas été les mêmes; je vous donne mon procédé personnel. Quant à mes collègues, M. Charavay a été moins affirmatif. » Je ne me rappelle plus beaucoup, du reste, les détails qu’il m’a fournis sur cette expertise : « Quant à M. Bertillon — me dit-il — il aurait tout perdu; M. Bertillon a fait devant le Conseil une déposition absolument incompréhensible, et si je n’avais pas été là — ajoutait M. Teysonnières — il eût été absolument impossible de condamner. »

Je ne suis pas très surpris de l’appréciation de M. Tevsonnières, après avoir entendu M. Bertillon à cette audience. Je comprends...

M. Teysonnières. — Je n’ai pas entendu M. Bertillon.

M. Trarieux. — Mais moi, je l’ai entendu, et je crois que vous auriez été dans un bien grand embarras pour le comprendre; tous ceux qui l’ont écouté ont fait de très grands efforts; et, malgré toute la bonne volonté qu’il y a mise, il a été difficile à M. Bertillon de faire accepter ses démonstrations au moyen de ce schéma extraordinaire qui a été placé sous vos yeux. Ç’a été l’opinion de M. Teyssonnières. Il m’a formellement dit que la déposition de son collègue au Conseil de guerre, non seulement ne reposait sur aucun de ses éléments de démonstration personnels, mais reposait sur des procédés de démonstration qui étaient tellement extraordinaires qu’ils auraient certainement compromis le résultat de l’affaire, si l’expertise de M. Tevsonnières n’avait pas figuré au procès à côté de celle de M. Bertillon.

Voilà, Messieurs, tout ce qui s’est passé entre nous au mois de juin 1897.