Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/455

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Jamin se retournant, me posa ex abrupto cette question : « Combien vous a rapporté votre rapport sur l’affaire Dreyfus ? » — « Deux cents francs. » — « Deux cents francs, dit-il, cela pourrait vous rapporter cent mille... » Je l’arrêtai. Il ne m’en a pas dit plus long. Dans tous les cas, cela me produisit une impression terrible.

Cent mille francs! Deux cent mille francs! ce serait bon pour mes vieux jours, mais j’ai 4 fr. 50 que me rapporte ma retraite comme conducteur des ponts et chaussées, la maison m’appartient et je n ai plus besoin de rien pour conserver ma liberté et mon honneur.

Le lendemain, M. Crépieux-Jamin partait; mais, avant de partir - j’ai interprété sa dernière démarche comme un repentir de ce qu’il avait fait la veille — il se jeta dans mes bras, m’embrassa avec la plus grande effusion, embrassa ma femme, ce fut un tableau! Et, Messieurs, ces circonstances sont douloureuses à rappeler, car à peine venait-il de tourner à l’angle du quai que ma femme, à laquelle je disais : « Tiens, il a un certain repentir ! » - Les femmes ont quelque fois des visions plus claires pour certaines choses que les hommes, — ma femme me répondit : « Cela, ce sont des baisers de Judas. » C’était la vérité. Immédiatement après, arrivèrent des personnes, dont je pourrai dire les noms quand on voudra. C’étaient cinq personnes de Binic et un pharmacien de Paris. Spontanément, je leur dis : « Ces personnes qui viennent de partir sont venues chez moi fouiller, scruter; car M. Crépieux-Jamin m’a dit ces mots : « N’avez-vous pas le moindre doute sur votre rapport, sur vos conclusions ? » — Certainement on ne me demandait pas encore de revenir sur les conclusions de mon rapport; mais si j’avais pu exprimer un doute, il paraît que cela m’aurait été payé. Ma déposition est terminée. Je n’ai absolument plus rien à dire, mais j’ai cru que l’amitié et la profonde reconnaissance que j’ai pour M. Trarieux doivent passer après la vérité et la justice.

(L'audience est suspendue.)

(L’audience est reprise à deux heures cinquante-cinq minutes.)

M. le Président. — M. Teyssonnières, pour résumer en trois mots ce que vous avez dit dans votre déposition, il résulte que vos conclusions ont été contraires à Dreyfus, et qu’à un moment donné, on a cherché à vous faire changer vos conclusions en vous offrant même de l’argent?

M. Teyssonnières. — J’ai arrêté en route la phrase qui contenait l’offre d’argent.

M. le Président. — C’est le résumé de votre déclaration.

Me  Clémenceau. — Je crois que le témoin n’a pas dit cela.

M. le Président. — Vous a-t-on proposé de l’argent, vous a-t-on dit que cela pourrait vous rapporter?

M. Zola. — Mais à quel moment l’argent aurait-il été offert, est-ce en 1894?