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feuille de papier qui sert à l’impression. Or, selon qu’on veut faire apparaître plus ou moins les caractères, on fait ce que l’on appelle une mise en train, on colle sur les parties qu’on veut faire plus grosses, trois, quatre, cinq ou six feuilles de papier, afin qu’en passant sous la presse, ces parties prennent le plus d’encre possible, ce qui fait que les parties que l’on veut faire ressortir sont plus noires que les autres ; cela s’appelle « plonger » en terme d’imprimerie. Or, lorsque j’ai vu la publication, toujours suspecte dans les journaux, parce qu’ils ne peuvent pas reproduire exactement le bordereau, j’ai vu qu’il y avait ce maquillage; que tantôt on faisait «plonger», tantôt on «soulageait», de manière à rendre similaires l’écriture d’Esterhazy et l’écriture du bordereau pour tromper le public; mais ce n’était pas fait pour me tromper, moi, qui ai été chef de l’imprimerie des chemins de fer de l’Etat et des Travaux publics, et qui sais ce que c’est que l’impression, puisque je suis en même temps graveur.

Donc, je répète que je suis de l’avis de M. le général de Pellieux et que les reproductions sont, pour ainsi dire, des faux : la preuve, c’est que M. Crépieux-Jamin le constate lui-même. Je partis huit jours après pour Binic. A la fin août, je vis arriver sur la plage deux bicyclistes, un monsieur et une dame. C’étaient M. Crépieux-Jamin et Mme Crépieux-Jamin, que je ne connaissais pas. Nos relations si amicales firent que j’accueillis avec d’autant plus de plaisir M. Crépieux-Jamin que je le savais médecin, — je ne sais pas de quelle faculté, — mais je sais qu’il est médecin, et qu’alors sa présence, à propos de ma blessure, pouvait m’être d’une certaine utilité. Effectivement, la première chose qu’il fit, fut de me demander des nouvelles de ma blessure, et il me proposa de me masser . Ce massage dura quatre jours...

M. le Président. — Mais, cela n’a aucun rapport avec l’affaire!

M. Teyssonnières. — Je vous demande pardon, monsieur le Président; vous allez voir, nous arrivons à la question…

Pendant ces quatre jours, M. Crépieux-Jamin m’interrogea considérablement... (Rires) (Se tournant vers le fond de la salle.) Vous verrez que la chose n’est pas risible.

M. le Président. — Mais, passez sur tous ces détails!

M. Teyssonnières. — J’ai fini, mais il me fallait bien expliquer comment il était resté quatre jours. Il n’a cessé de me parler de mon rapport, de celui qu’il avait à faire, des petites notes que j’avais prises, etc. Quel fut mon étonnement lorsqu’au bout de deux jours, il me dit : « Mais, vous savez, votre rapport ne me convient pas du tout! » — « Comment, lui dis-je, vous avez changé d’avis ? » — « Oui, je ne trouve pas que votre rapport soit à la hauteur de ce que vous avez l’habitude de faire. » — « Je le regrette. » La conversation cessa immédiatement, mais le lendemain, elle reprit sur le même chapitre. Bref, il resta chez moi. Le 23, au soir, à huit heures, M. Crépieux-