Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/449

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fidences à personne, car je n’en avais fait encore aucune, et redoutant des indiscrétions ou des paroles qui auraient pu m’échapper j’allais voir, le matin M. Trarieux, et je lui demandais ce que j'avais a faire auprès de M. Scheurer-Kestner. C’est alors que M.Trarieux me dit: « Vous pouvez avoir confiance; d’abord, c’est un des premiers magistrats de France; il est vice-président du Sénat vous n'avez rien a redouter; vous pouvez vous expliquer avec lui comme avec moi-même. »

Des quelques mots échappés, il me sembla, et je savais par des amis qu’il avait au tribunal, que sa conviction avait été un peu ébranlée sur la culpabilité de Dreyfus. Je lui demandai s’il avait confiance en moi, parce qu’il me connaissait comme expert depuis vingt-cinq ans; il me répondit: « Certainement, mais j’ai été l'objet de certaines visites, de certaines démarches qui m’ont ébranlé. » Je lui dis: « Comment pouvez-vous vous laisser ébranlé, vous?... »

M. Trarieux n’était plus Ministre de là justice à ce moment-là, puisque nous sommes au 19 juin 1897.

Je lui dis : « Vous, ancien Ministre de la justice, vous pouviez vous assurer de ce qui avait été fait dans cette affaire. » Il me répondit: « Oui, mais ma conviction est fortement ébranlée. » J'essayai de le ramener, lorsqu’il me répondit : « J’ai reçu une visite de Me Demange alors que j'étais Ministre de la justice; il a pleuré, il s'est jeté à mes pieds, invoquant l’innocence de son client, disant ou il y avait eu une erreur aussi bien dans l’expertise que dans le reste; enfin, je suis fortement ébranlé. » Je lui dis: « Je le déplore, mais enfin, qu'ai-je à faire avec M. Scheurer-Kestner? partage-t-il votre opinion ? » — « Non, mais allez le voir tout de même. »

Le soir, à 1 heure, je me rendis chez M. Scheurer-Kestner qui m'accueillit avec une très grande bienveillance, et je dois dire que M. Scheurer-Kestner, à ce moment-là, me parut un homme qui cherchait réellement à s’éclairer; toutes les interrogations, toutes les demandes qu'il m'a posées indiquaient un homme qui cherchait à s'éclairer. Je fis de mon mieux et il me remercia par cette bonne parole: « Jusqu'ici, on ne m'avait produit que des histoires, des racontars, vous venez de me donner des preuves de la culpabilité de Dreyfus. »

Je sortis donc parfaitement convaincu que M. Trarieux ne m'avait pas envoyé auprès d’une personne susceptible de pouvoir me compromettre, et c'est à ce moment là que M. Scheurer-Kestner, en se retirant me dit : « J'ai reçu la visite de Me Demange; il est venu plaider la cause de son client, cela s'explique, s'il croit à son innocence, il a parfaitement raison, mais combien il doit être payé pour faire des démarches aussi pénibles! » M. Scheurer-Kestner, en me quittant, me dit ceci: « Je me suis rendu auprès du Ministre de la guerre pour l’informer qu'au mois d'octobre prochain, on s'organiserait pour la défense de Dreyfus. » — Et que vous a appris M. le Ministre de la guerre? » — « Il m'a refusé de me faire voir le bordereau