Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/401

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« Oue voulez-vous ? deux hommes de bonne foi peuvent avoir sur une même chose des impressions singulièrement différentes…»

Eh bien! ce n’est pas l’opinion de M. le général de Pellieux qui est nécessaire ici, ce n’est pas l’opinion de Me Demange c’est l’opinion des douze citoyens composant le jury qui doivent se dire que véritablement la France, quand elle est reunie ici ou Dlutôt la « conscience légale » de la patrie, comme on appelait le jury tout à l’heure dans une si belle image, a bien peu de droits lorsqu’il lui faut cependant juger un accusé.

Eh bien! messieurs les jurés, si on n’apporte pas la pièce, il restera que la déclaration de M. le général de Pellieux ne doit plus compter dans le débat, et voilà pourquoi je crois que la question qui se pose en ce moment devant la Cour ne se presente pas dans les mêmes conditions que celle qui a été jugée, oue celle à laquelle M. le Président faisait allusion.

Voila pourquoi, à tous les points de vue, non pas seulement au point de vue de ma défense, mais au point de vue du respect et des égards mêmes qui sont dus au jury qui nous juge, au point de vue de la vérité, au point de vue de la lumière rendue nécessaire tous les jours davantage par suite de l’angoisse publique, je vous supplie, Messieurs, de la Cour, vous qui aussi jouez autre chose qu’un rôle juridique, qui jouez un rôle moral, un rôle patriotique dans cette affaire, je vous supplie de délibérer mûrement avant de rendre votre décision. Je suis convaincu que si vous le faites dans l’esprit où je vous sollicite de le faire, reconnaissant qu’il n’y a, à la demande que je vous adresse aucune espèce de fin de non-recevoir décisive et absolue à opposer, vous ordonnerez, que le bordereau sera versé aux débats.

M. le Président. — Je vous rappelle, maître Labori, que la Cour a déjà statué...

Me Labori. — Eh bien la Cour dira...

M. le Président. — Vous ne me laissez même pas achever!

Me Labori. — Je vous demande pardon, monsieur le Président.

M. le Président. — La Cour a jugé non seulement en fait, mais en droit, qu’il n’était pas possible de demander communication de ces deux dossiers. Or, le bordereau dont vous parlez fait actuellement partie, soit du dossier concernant l’affaire Drevfus, soit du dossier concernant l’affaire Esterhazy, et comme il n’était pas possible pour la Cour de demander communication de ces deux dossiers, la Cour a donc statué et ce serait absolument la même chose à recommencer.

Me Clémenceau. — La Cour rendra son arrêt.

M. le Président. — Ce serait un arrêt inutile.

Me Clémenceau. - Les arrêts que la Cour peut rendre ne sont jamais inutiles; ils confirment une première opinion ou ils la démentent, selon le cas.