Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/40

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été seuls visés, sont tous relatifs à l’imputation seule relevée par M. le Ministre de la guerre, plaignant.

En droit, la citation ne pouvait pas dépasser la plainte, à peine de nullité. Cette règle de droit, Messieurs, est dictée par le bon sens, car chacun est juge — et seul juge — du débat qu'il entend provoquer. Il est assez naturel que ce soit le plaignant qui délimite le terrain sur lequel il entend appeler celui qui 1'a outragé, sans quoi il serait trop facile à celui-ci de faire dévier le débat en portant la discussion sur des points étrangers à la diffamation relevée et de réaliser une diversion, qui est le grand art en Cour d’assises.

Une imputation est détachée dans l'article de M. Emile Zola, nette, précise, catégorique : l’affirmation qu’un Conseil de guerre avait jugé par ordre en acquittant sciemment un coupable ; que ce Conseil de guerre était criminel. C’était intolérable ! M. le Ministre de la guerre entend vous faire juges des preuves décisives que l’écrivain et le journal qui lui a prêté sa publicité devaient avoir de leur audacieuse imputation. La justification doit être aussi précise que l’attaque.

Je vous ai dit, Messieurs, qu’en fait, en ne retenant qu'une prévention très nette, on avait voulu empêcher le débat de dévier. J’ajoute que les motifs les plus élevés ne permettaient pas en droit de faire le jeu des prévenus. Le principe de notre législation sur la presse est absolu ; les personnes individuelles ont le droit de mépriser les attaques dont elles sont l'objet, et même quand elles seraient naturellement portées a venger leurs injures, il faut les louer de faire le sacrifice de leurs préférences. Multiplier les points du débat, c’était l’obscurcir, l’envenimer par des questions personnelles, le faire dégénérer, empêcher la prévention, précise et nette, de la plus haute gravité, de se présenter en pleine lumière.

Le plan des prévenus, arrêté et largement exécuté au dehors, est de remettre en discussion devant la Cour d’assises, qui est incompétente, l’autorité absolue de deux décisions judiciaires rendues dans les affaires Dreyfus et Esterhazy. Toute tentative à cette audience contre ces décisions judiciaires serait d'une flagrante illégalité.

Ce n’est pas, Messieurs, pour les besoins de la cause que la jurisprudence s’est prononcée sur ces questions : il y a cinquante ans que ces questions ne se discutent plus. La Cour de cassation, dans son arrêt du 5 mai 1847, l’a formellement décidé. Il s’agissait, Messieurs, dans l’espèce, de diffamation contre les membres d’un Tribunal, et pour prouver la prétendue vérité de l’acte diffamatoire, le diffamateur avait émis la prétention de discuter les jugements qui avaient été rendus par les magistrats du Tribunal ; il entendait faire ressortir sa bonne foi, qu’il alléguait, d’appréciations sur des jugements définitifs. La Cour de cassation, Messieurs, a repoussé cette doctrine qui était, je l’ai dit, d’une flagrante illégalité.

Il est, Messieurs, trop clair qu’on ne peut pas mettre indirec-