Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/398

Cette page n’a pas encore été corrigée

mais il n’a même pas pris ce que j’appellerai les précautions humaines contre l’erreur, il n’a même pas consulté à titre amical, à titre officieux, ses collègues du ministère! J’ai entendu dire — je viole ici le secret professionnel des autres (sourires) — j’ai entendu dire par M. Charles Dupuy, fai entendu dire par M. Delcassé, qui étaient alors ministres avec le général Mercier, qu’on n’avait parlé au Conseil des ministres, comme pièce secrète, que du bordereau, qu’aucune allusion n’avait été faite à d’autres pièces secrètes, a celles dont on a parlé depuis ...

(Depuis un moment, M. Jaurès est tourné plutôt vers le fond de la salle que vers le jury.)

M. le Président. — Voulez-vous vous adresser a MM. les jurés

M. Jaurès. — Oh!... je vous demande pardon, monsieur le Président.

Eh bien. messieurs les jurés, il résulte donc de ce fait, non seulement que la communication a été illégale, mais qu’un homme, un seul, sans consulter officieusement ses amis a pris sur lui de jeter dans la balance du procès une pièce dont seul il avait osé mesurer la valeur. Je dis que cet homme, malgré l’éclat des services et des galons, malgré la superbe du pouvoir, cet homme est un homme, c’est-à-dire un être misérable et fragile fait de ténèbres et d’orgueil, de faiblesses et d’erreur, et je ne comprends pas que, dans ce pays républicain, un homme, un seul ose assumer sur sa seule conscience, sur sa seule raison, sur sa seule tête, de décider de la vie, de la liberté, de l’honneur d’un autre homme; et je dis que si de pareilles mœurs, de pareilles habitudes étaient tolérées dans notre pays c’en serait fait de toute liberté et de toute justice! (Sensation.)

Et voilà pourquoi les citoyens comme M. Zola ont eu raison de se dresser et de protester. Pendant que le Gouvernement, prisonnier de ses combinaisons, intriguait ou equivoquait, pendant que les partis parlementaires, prisonniers de la peur, se taisaient ou abdiquaient, pendant que la justice militaire installait l’arbitraire du huis clos, des citoyens se sont levés dans leur fierté, dans leur liberté, dans leur indépendance, pour protester contre la violation du droit et c’est le plus grand service qu’ils aient pu rendre à notre pays.

Ah! Je sais bien que M. Zola est en train d expier par des haines et des attaques passionnées ce noble service rendu au pays et je sais aussi pourquoi certains hommes le haïssent et le poursuivent!

Ils poursuivent en lui l’homme qui a maintenu l’interprétation rationnelle et scientifique du miracle; ils poursuivent en lui l’homme qui a annoncé, dans Germinal, l’éclosion d’une humanité nouvelle, la poussée du prolétariat misérable germant des profondeurs de la souffrance et montant vers le soleil; ils poursuivent en lui l’homme qui vient d’arracher l’Etat-major à cette irresponsabilité funeste et superbe où se préparent incons-