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ceux qui le jugent, le huis clos ne peut s’expliquer que par des raisons supérieures d’intérêt national, et il est impossible de prétendre qu’il y avait un intérêt national quelconque à cacher au pays les expertises d’écritures relatives à l’attribution du bordereau.

Ce qui explique le huis clos sur les expertises, c’est simplement qu’il y avait intérêt, un intérêt qui n’était point celui de la justice, à cacher les conclusions d’experts du premier procès de 1894 et les conclusions d’expertises du procès Esterhazy. Mais il n’y avait pas que les constatations de ces contradictions à voiler; il y avait, pour l’attribution du bordereau à M . Esterhazy, d’autres indices qu’il était important de recueillir et d’examiner publiquement.

Pour ma part, je sais, et je puis en apporter à cette barre le témoignage positif, que le commandant Esterhazy avait produit sur le bordereau des affirmations singulièrement inquiétantes. Je le sais, et je puis invoquer ici le témoignage d’un de nos confrères loyal, qui ne me démentira pas, et je tiens, négligeant toutes les convenances secondaires qui n’ont rien à voir dans ce procès, à aller tout droit à la vérité, parce que j’estime que le premier devoir de tous les citoyens dans cette affaire, où les obscurités ont été accumulées à plaisir, c’est d’apporter toutes les parcelles de vérité qu’ils détiennent et dont sera faite plus tard la vérité définitive. Eh bien! voici ce que j’ai entendu dire deux fois par M. Papillaud, rédacteur à la Libre Parole. Il m’a fait cette déclaration une fois que nous sortions ensemble du Sénat, après la séance où M. Scheurer-Kestner interpellait; il l’a faite encore publiquement, devant un groupe qui se formait dans la salle des Pas-Perdus de la Chambre, salle ouverte à tout venant et où les propos qui se tiennent sont des propos publics. Eh bien! M. Papillaud m’a dit, et a dit à bien d’autres personnes ceci: « Je crois profondément à la culpabilité de Dreyfus; j’y crois parce qu’il me paraît impossible que des officiers français, ayant à juger un autre officier français, l’aient condamné sans des charges accablantes; j’y crois, parce que la puissance juive, très influente, il y a quatre ans comme aujourd’hui, aurait arraché Dreyfus à la Justice, s’il y avait eu en sa faveur la moindre possibilité de salut, et le bordereau, d’ailleurs, n’est qu’un élément accessoire du procès. Mais, en ce qui concerne le bordereau, j’ai la conviction absolue qu’il est d’Esterhazy, et voici pourquoi: Dans les deux jours qui ont suivi la lettre de dénonciation de M. Mathieu Dreyfus, M. Esterhazy, qui ne semblait pas avoir recouvré l’entière possession de lui-même, allait beaucoup dans les bureaux de rédaction. Il est venu dans les bureaux de la rédaction de la Libre Parole, et là, devant mes camarades et moi, il a dit : « Oui, il y a entre l’écriture du bordereau et la mienne une ressemblance effrayante, et lorsque le journal Le Matin a publié le fac-similé du bordereau, je me suis senti perdu. »

Je fais remarquer à MM. les jurés que le fac-similé était