Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/392

Cette page n’a pas encore été corrigée

M. Emile Zola savait qu’en écrivant la lettre qu’il a écrite, il se vouait d’avance à toutes les injures et à toutes les infamies; il savait qu’il mettait en péril non seulement son repos, mais, nous le savons actuellement, sa vie, qu’il mettait en péril son honneur, puisque nous en sommes venus, paraît-il, à un tel point de pourriture sociale qu’aucun homme ne puisse exprimer son opinion sans être accusé de vénalité.

Eh bien! je trouve ce fait, sachant les circonstances où nous vivons, sachant l’ignominie de l’antisémitisme (Bruit)... Parfaitement!… je trouve ce fait, dans ces circonstances, d’avoir dit ce qu’on croyait la vérité, d’avoir estimé qu’au dessus de la chose jugée, il y avait peut-être la chose vraie, je trouve ce fait-là digne d’un homme honnête et honorant M. Emile Zola, plus que beaucoup de ses œuvres. Je suis heureux de lui apporter ici l’hommage de ma profonde et respectueuse admiration.

DÉPOSITION DE M. JAURÈS
Député.

(Le témoin prête serment.)

Me  Labori. — M. Jean Jaurès n’a-t-il pas assisté aux débats du procès Esterhazy, et, si oui, voudrait-il nous faire part de ses impressions d’audience ?

M. Jaurès. — J’ai assisté, en effet, à la partie publique du procès Esterhazy, et c’est parce que j’ai assisté à la partie publique du procès Esterhazy que je viens affirmer à cette barre, non seulement l’entière bonne foi de M. Zola, mais la haute valeur morale et sociale de son acte.

J’estime que la conduite du procès Esterhazy justifie, en effet, les indignations les plus véhémentes de M. Zola ; elles justifient aussi les inquiétudes de ceux qui, profondément respectueux de l’armée nationale, ne veulent pas que le pouvoir militaire s’élève au-dessus de tout contrôle et de toute loi. J’ajoute que les défaillances parlementaires et gouvernementales, qui se sont produites depuis le commencement de cette affaire, ont obligé les citoyens à intervenir et à suppléer, pour la défense de la liberté et du droit, les pouvoirs responsables qui se dérobaient.

Dans l’affaire Esterhazy, dans le procès Esterhazy, trois faits décisifs m’ont particulièrement frappé.

En premier lieu, pourquoi le huis clos a-t-il été prononcé sur les expertises d’écritures ? C’était là l’objet essentiel de l’accusation. M. Esterhazy était accusé d’avoir écrit le bordereau: pourquoi avoir discuté dans le mystère et le secret du huis clos, les expertises d’écritures qui devaient trancher cette question. Le huis clos, qui soustrait le débat à la publicité, au contrôle de l’opinion, si utile, non seulement à celui qui est accusé, mais à