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pas? Il n’y avait absolument que la famille Dreyfus qui pût y recourir; par conséquent, c’est à elle que s’adressait le reproche, et à moi, indirectement.

Et je pourrais même vous dire à tous que, depuis longtemps, et surtout depuis que M. l’Avocat général vous a fait cet exposé, moi, je reçois tous les matins des lettres, les unes qui sont signées, les autres qui ne le sont pas — les premières sont polies, les secondes ne le sont pas du tout — lettres dans lesquelles on me reproche d’avoir manqué à mon devoir.

Eh bien! moi, j’estime que je n’y ai pas manqué. J’ai toujours mon devoir devant les yeux, et vous pouvez être certains que ma conscience ne me fera jamais reculer devant l’accomplissement d’un devoir! Mais je crois avoir été très prudent en conseillant à M. Dreyfus d’attendre. Et ce qu’il faut que vous reteniez, c’est que certainement on ne peut pas reprocher à M. Zola de n’avoir pas recouru aux voies légales, puisque cela lui était impossible. Voilà ce que je tenais à dire en dégageant M. Zola.

Et voilà comment l’affaire Esterhazy, qui m’avait fait espérer — puisque je reviens à elle — que je pouvais recourir aux voies légales pour obtenir la revision légale, me l’a en même temps fermée, cette voie, parce qu’elle m’a fait comprendre que le gouvernement ne voulait pas la lumière. Voilà tout ce que j’ai à dire.

Me  Labori. — Me  Demange voudrait-il dire ce qu’il pense de ce passage du rapport de M. le commandant Ravary, relatif à l’affaire Esterhazy:

En résumé, que reste-t-il? Une impression pénible qui aura un écho dans tous les cœurs vraiment français. Des acteurs mis en scène, les uns ont marché à découvert, les autres sont restés dans la coulisse; mais tous les moyens employés avaient le même but: la revision d’un jugement légalement et justement rendu.

Qu’est-ce que Me  Demange pense de cela? Cela lui paraît-il exact? N’a-t-il pas une observation de fait à présenter sur ce point?

Me  Demange. — Mais, puisque je voulais m'adresser au Ministre de la justice pour faire annuler le jugement, c’est que je ne le considérais pas comme légalement rendu.

Me  Labori. — Pourquoi?

M. le Président. — La question ne sera pas posée.

Me  Labori. — Il s’agit de l’affaire Esterhazy.

Me  Demange. — Je l’ai dit tout à l’heure.

Me  Labori. — Dites-le encore.

Me  Demange. — J’avais su par M. Salles qu’il y avait eu violation de la loi: c’est pour cela que je voulais m’adresser au Ministre.

Me  Labori. — Quelle violation ?