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épris du droit et de la justice, ayant de l’autorité près du gouvernement.

En effet, que pouvais-je faire ?

Je pouvais dire à M. le Ministre de la justice: j’ai la certitude morale qu’il y a eu violation de la loi. Mais, une preuve juridique, je ne pouvais pas la lui apporter.

Il fallait donc que je fisse ce que l’on fait dans les procès de revision, c’est-à-dire que je demandasse à M. le Ministre de la justice une enquête; je devais le prier de vérifier, de rechercher si l’assertion que je lui apportais était une assertion exacte. Donc, je ne voulais pas m’avancer tout seul; et je dois dire qu’à ce moment-là, je n’ai pas trouvé l’assistance que je souhaitais, soit autour de moi au Palais, soit parmi les hommes politiques. On m’a dit: « Ah ! prenez garde. Ne réveillez pas en ce moment l’affaire Dreyfus; c’est trop tôt, il faut attendre! » J’attendais, lorsque se sont révélés les faits que M. Scheurer-Kestner a portés à la connaissance du public.

A ce moment-là, je me suis dit: Eh bien! j’ai maintenant deux recours possibles: la revision et l’annulation. J’ai donc attendu l’issue du procès de M. Esterhazy.

Il y avait deux cas de revision possibles; comme ces jours, passés M. l’avocat général vous le signalait dans l’exposé de faits que j’ai entendu, si M. Esterhazy avait été condamné, il y avait deux personnes condamnées pour un même fait et, par conséquent, la revision s’imposait; si M. Esterhazy était acquitté, ce qui a eu lieu, il restait le recours du fait nouveau. J’attendais donc très impatiemment les débats du procès Esterhazy. J’ai assisté à la partie publique ; j’avais même demandé une intervention pour qu’il y eût un contradicteur; elle a été repoussée. Mais enfin, ce qui m’intéressait surtout, c’était la déposition des experts, parce que c’était là que je comptais trouver le fait nouveau; en effet, puisque Dreyfus n’avait été condamné que sur le bordereau et sur l’écriture, l’expertise dans l’affaire de M. Esterhazy, en m’apportant des éléments, me permettait de dire à M. le Ministre de la justice: Eh bien! voilà un fait nouveau!

Je savais bien — cela m’a été appris par le rapport de M. Ravary — que les experts concluaient que l'écriture n’était pas de M. Esterhazy, mais je ne connaissais pas leurs motifs et l’écriture du bordereau peut ne pas être celle de M. Esterhazy, sans pour cela être celle de Dreyfus.

Il y avait là un élément sur lequel je n’avais pas de renseignements, par suite du huis clos ; de telle sorte que la voie de la revision m’était fermée.

Il me restait, Messieurs, la voie de l’annulation. Mais, comme je vous le disais tout à l’heure, je ne pouvais m’adresser à M. le Ministre de la justice que si j’étais certain, en frappant à cette porte, de la voir s’ouvrir. Or, les conditions dans lesquelles s’est déroulé le procès de M. Esterhazy et sur lesquelles, moi, je n’ai rien à vous dire, m’avaient donné une conviction: