Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/367

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Me  Labori, s’adressant au colonel Henry qui est placé devant le colonel Picquart et le cache aux regards des jurés. — Je prie M. le colonel Henry de vouloir bien se déplacer pour ne pas empêcher M. le colonel Picquart de s’adresser aux jurés.

M. le colonel Picquart, d’un ton indigné. — Messieurs les jurés, vous avez vu ici des hommes comme le colonel Henry, comme le commandant Lauth et comme l’archiviste Gribelin porter contre moi des accusations odieuses! Vous avez entendu le commandant Lauth émettre, sans preuves, une allégation aussi grave que celle qu’il a émise hier en disant que c’était moi — il n’en avait pas la preuve, — que ce devait être moi qui avais mis le petit bleu dans le cornet! Eh bien! messieurs les jurés, savez-vous pourquoi tout cela ce fait?

Vous le comprendrez quand vous saurez que les artisans de l’affaire précédente, qui se lie intimement à l’affaire Esterhazy, ceux qui ont travaillé en conscience, je le crois, pensant qu’ils étaient dans la vérité, le colonel Henry et l’archiviste Gribelin, aidés du colonel du Paty de Clam, sous la direction du général Gonse, ont reçu du regretté colonel Sandherr — qui déjà, au moment de cette affaire, était atteint de la grave maladie dont il est mort depuis, — comme par une sorte de testament, au moment où il quittait le service, le soin de défendre, contre toutes les attaques, cette affaire qui était l’honneur du bureau et que le bureau avait poursuivie avec conscience parce qu’il croyait que c’était la vérité.


Moi, j’ai pensé autrement lorsque j’étais à la tête de ce service, et comme j’ai eu des doutes, j’ai voulu m’éclairer et j’ai cru qu’il y avait une meilleure manière de défendre une cause que de se renfermer dans une foi aveugle et souvent peu justifiée.

Messieurs les jurés, voilà je ne sais combien de temps, voilà des mois que je suis abreuvé d’outrages par des journaux qui ont été payés pour répandre des calomnies et des erreurs...

M. Zola. — Parfaitement.

M. le colonel Picquart. — Pendant des mois je suis resté dans la situation la plus horrible pour un officier; car je me trouvais attaqué dans mon honneur sans pouvoir me défendre! Demain peut-être je serai chassé de cette armée que j’aime et à laquelle j’ai donné vingt-cinq ans de ma vie! Gela ne m’a pas arrêté lorsque j’ai pensé que je devais rechercher la vérité et la justice. Je l’ai fait et j’ai cru rendre en cela un plus grand service à mon pays et à l’armée! C’est ainsi que j’ai cru qu’il fallait faire mon devoir d’honnête homme!

Voilà ce que j’avais à dire. (Mouvements divers.)

Je suis sûr que MM. les jurés m’ont compris.

M. Zola. — Je l’espère.

M. le colonel Henry. — Je demande à m’expliquer. On vient de dire que le colonel Sandherr nous avait légué une succession sur une affaire D...; il n’a jamais été question de cela entre le colonel Sandherr et les officiers du bureau; chacun