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Le colonel Henry n’est pas sûr actuellement d’avoir tout enlevé, notamment le petit bleu, qui était une pièce qui ressortait de son service et qui ne devait pas me parvenir; le paquet a été remis au colonel Picquart qui l’a gardé deux, trois ou quatre jours, et il m’a été remis ensuite. J’y ai trouvé une pièce qui ne m’était pas destinée, et le colonel Henry, dans la journée, aurait pu me dire: «Vous devez avoir trouvé une pièce que je n’ai pas.»

Me  Labori. — Est-ce que le commandant Lauth accuse le colonel Picquart d’avoir mis le petit bleu dans le paquet?

M. le commandant Lauth. — Non.

Me  Labori. — Pourquoi ne l’en accusez-vous pas?

M. le commandant Lauth. — Parce que je n’en ai pas de preuve.

Me  Labori. — Le croyez-vous ?

M. le commandant Lauth. — Oui, mais je n’en ai pas la preuve.

Me  Labori. — Depuis quand le croyez-vous ?

M. le commandant Lauth. — Depuis l’automne 1896.

Me  Labori. — Gomment M. le commandant Lauth a-t-il pu avoir dans l’esprit une idée pareille et n’en pas parler à ses chefs?

M. le commandant Lauth. — Je n’en ai pas parlé à mes chefs parce que je n’avais pas à faire une dénonciation: mais le jour où les choses ont été connues, et où on m’a interrogé, ce jour-là j’ai été le premier à dire ce que je croyais. On ne m’a pas demandé à l’instruction quel était mon sentiment; je n’accuse personne, je vous ai dit que je n’avais pas de preuve, et je n’ai rien dit ; je n’ai pas accusé, mais la chose m’a semblé étrange et je vais vous en dire la raison: c’est que c’était une écriture que je n’avais jamais vue auparavant et que je n’ai jamais vue après.

Me  Labori. — Monsieur le Président, voulez-vous demander à M. le lieutenant-colonel Picquart s’il n’a pas d’explication à fournir sur ce point?

M. le colonel Picquart. — J’ai à dire ceci, c’est que c’est précisément en automne 1896 que l’affaire Esterhazy a dévié dans l’affaire Dreyfus, et je pense que les préventions que pouvait avoir M. Lauth au sujet de cette carte, se sont accentuées ou sont nées à ce moment-là.

Me  Labori. — Ne serait-il pas possible de retrouver l’agent qui a apporté le document, je ne dis pas, — qu’on comprenne bien ma pensée, car je suis aussi soucieux que personne des intérêts de la défense nationale, — je ne dis pas pour l’amener ici, mais pour le faire comparaître devant telle personne qu'on croirait devoir désigner. Il n’est pas possible que M. le lieutenant-colonel Picquart reste ici sous le coup de ces insinuations; un fait pareil est d’une gravité telle qu’il faut qu'il soit élucidé dans un sens ou dans un autre.