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Me Labori. — Je voudrais maintenant, Monsieur le Président si vous me le permettez, soumettre à M. le colonel Picquart un certain nombre de points qui ont été examinés dans l’audience d’hier et dans l’audience d’aujourd’hui, en présence de certains témoins qui sont en contradiction manifeste avec lui. Je voudrais d’abord m’occuper de la déposition de M. le général de Boisdeffre.

M. le colonel Picquart aurait été, dit M. de Boisdeffre, — je lis d’ailleurs la sténographie, — « dans un état d’esprit qui ne lui permettait pas de s’occuper d’une façon aussi satisfaisante qu’il le fallait de son service, il était absorbé par une seule idée; le ministre a pensé qu’il était intéressant de lui donner une mission extérieure qui lui permît de rentrer dans des conditions d’esprit normales. »

Est-ce que jamais on a objecté à M. le colonel Picquart qu’il n’était pas en état de remplir son service ?

M. le colonel Picquart. — On m’a bien dit que j’avais une idée fixe: mais je crois avoir rempli mon service comme d’habitude. Je sais même qu’une fois, on m’a dit : « Mais ne vous occupez pas toujours de cette affaire...! » Je crois avoir dit tout à l’heure que je m’occupais de beaucoup d’autres choses; je m'occupais beaucoup de cette affaire, avec persévérance mais non pas d’une façon absolue.

Me Labori. — Et pourquoi M. le colonel Picquart s’occupait-il de cette affaire d’une façon incessante?

M. le colonel Picquart. — Parce que je la jugeais très importante.

Me Labori. — Obéissiez-vous, en vous en occupant, à un devoir de conscience ?

M. le colonel Picquart. — Certainement.

Me Labori. — Et si vous avez continué à vous en occuper était-ce parce que vous obéissiez à un devoir de conscience ?

M. le colonel Picquart. — Absolument.

Me Labori. — Avez-vous senti qu’en vous occupant de cette affaire vous alliez contre votre carrière militaire et contre vos intérêts?

M. le colonel Picquart. — Mon Dieu!... Oui.

Me Labori. — Vous avez cependant continué?

M. le colonel Picquart. — Oui, mais je n’avais pas l’opposition absolue de mes chefs; je sentais que je n’étais pas en communion d'idées complète avec eux, mais ils ne me disaient pas de m'arrêter; sans cela, j’aurais rempli mon devoir d’officier je me serais arrêté. Je ne sais pas trop ce que j’aurais fait après…, mais je me serais arrêté.

Me Labori. — Il a été un moment où M. le colonel Picquart s'est senti encouragé?

M. le colonel Picquart. — Oui.

Me Labori. — Puis, à un moment donné, cette disposition favorable de vos chefs a changé ?