Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/299

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questions de nuances et il faut entrer dans des détails précis pour les faire bien comprendre.

Lorsque le colonel Sandherr était chef du service, il avait laissé peu à peu ce genre de travail entre les mains du commandant Henry et du capitaine Lauth ; il était de règle à cette époque que le commandant Henry, qui recevait les documents déchirés, les triât lui-même et les remît au capitaine Lauth, pour être recollés, et ce n’est que lorsque la besogne était faite qu'on les remettait au chef de service.

Prenant ce service nouveau pour moi, j’ai voulu me rendre compte des choses, j’ai voulu que les documents me fussent remis à moi-même d’abord, pour les transmettre ensuite au capitaine Lauth. Cela n’a l’air de rien ; mais cela a dû nécessairement changer les habitudes de ces messieurs et ils en ont été ennuyés. Lorsqu’on a eu des doutes, lorsqu’on s’est mis à m'accuser, cela leur est revenu à l’esprit ; ils ont trouvé singulier que je ne fisse pas comme mon prédécesseur, que je fisse mettre dans mon armoire les documents, à l’état de fragments, et que je les remisse moi-même à l’officier qui était chargé de les reconstituer.

Un reproche qui m’a été fait encore, c’est, après avoir fait photographier cette carte-télégramme, d’avoir fait effacer avec le plus grand soin les traces de déchirures. Il y avait deux raisons pour cela. Voici la première, la moins importante : un document de ce genre-là, coupé en tout petits morceaux, est beaucoup plus clair quand les déchirures n’apparaissent plus on peut le lire plus facilement. La seconde raison est celle-ci : je suppose que les déchirures aient été laissées intactes- si le document avait circulé dans le ministère, on aurait dit : « C'était un papier déchiré ». Eh bien ! il y avait eu des indiscrétions très graves commises au sujet du bordereau Dreyfus, et, certainement, on n’ignore pas assez d’où cela venait. Je tenais essentiellement, parce que j’avais une très grande responsabilité a cet égard, je tenais essentiellement à ce que ceux qui n'avaient pas besoin de savoir cela, et sous les yeux desquels pouvait passer la photographie, n’eussent pas d’indication sur la manière dont ce document m’était parvenu.

Il y a une chose qui fait foi en justice, c’est l’original, c’est la pièce elle-même ; la photographie, elle, suit un dossier qui va chez le Ministre, qui va chez le chef d’Etat-major, etc., mais le document lui-même, surtout un document aussi fragile qu’un télégramme, déchiré en je ne sais combien de morceaux, ne doit pas être déplacé. On le montre à deux ou trois personnes tout au plus et, s'il y a un procès, on le produit.

Voilà les raisons pour lesquelles j’ai prescrit d’effacer avec soin les déchirures de la carte-télégramme. On s’en émeut : on me le reproche ; je ne vois pas pourquoi, vu que la même opération avait ete faite pour le fameux bordereau. Il est vrai que pour les fac-similés du bordereau, elle a été faite assez tard,