Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/298

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Comme dans une instruction précédente, j’avais vu qu’on s’était appesanti fortement sur les preuves morales, je me disais que ces preuves devaient avoir une certaine importance.

Le commandant Ravary m’a paru très peu enclin à citer les témoins que je lui désignais comme pouvant donner des renseignements précieux. J’avais désigné M. Weil ; M. Ravary en a pris note une première fois, puis une seconde, et, enfin, la troisième fois, je lui dis : « Je désirerais absolument que ce témoin fût cité. » Il a été cité alors parce qu’on ne pouvait plus faire autrement, mais on ne l’a pas interrogé à fond. J’avais indiqué également au commandant Ravary des choses sur lesquelles il fallait s’appesantir. Il fallait voir les personnes qui avaient pu copier, pour le commandant Esterhazy, des documents ; il fallait voir quels étaient les officiers auprès desquels Esterhazy avait pris des renseignements ; il fallait voir quelle était sa situation pécuniaire en 1893, en 1894 ; enfin, il fallait faire tout ce qu’il y avait à faire et tout ce qui n’a pas été fait.

Par contre, le commandant Ravary a beaucoup insisté sur les différents points qu’on me reprochait : d’avoir fait disparaître des traces de déchirures sur les photographies de la carte-télégramme ; d’avoir voulu faire dire par un de mes officiers que tel document était de telle écriture, etc.

On s’est énormément appesanti là-dessus. On s’est également appesanti sur l’affaire de cette dame de B... qui avait habité dans ma maison. Je trouvais que c’étaient bien un peu des hors d’œuvre au point de vue de l’affaire Esterhazy.

Arrivons au Conseil de guerre. M. le commandant Ravary m’avait posé des questions de telle façon que j’avais plutôt l’air d’un accusé que d’un témoin. Je me suis applaudi d’avoir prévu certaines choses ; car je me suis aperçu qu’au Conseil de guerre, le réquisitoire était contre moi ; ou plutôt, je m’en suis aperçu le lendemain seulement, parce que tandis qu’on lisait ce réquisitoire, je n’étais pas dans la salle d audience, mais dans la salle des témoins.

Enfin, j’ai lu les journaux et j’ai pu répondre le lendemain aux choses qui m’étaient reprochées.

Je crois qu’il sera peut-être bon que je prenne ces différents points du rapport de M. Ravary et que je dise ce que j'ai à y répondre.

M . le Président. — Continuez !

M. le colonel Picquart. — Il m’a semblé que dans tout cela on cherchait avant tout à diminuer l’importance de la carte-télégramme qui avait appelé mon attention sur le commandant Esterhazy, que je ne connaissais pas du tout auparavant, et pourtant, cette carte ne m’avait apporté qu’une simple indication.

On m’a d’abord reproché d’avoir gardé les fragments de la carte pendant longtemps dans mon armoire... Vous m'excuserez si j’entre dans quelques détails, mais ces questions, qui sont relatives au service des renseignements sont souvent des